Le " doux entêtement "
 
de M. Crespin
La chemise préfectorale contenant le dossier Crespin
Il n'existe pas une "affaire Crespin" comme il y eut, en 1923, une "affaire Giraudet",  ramassée dans le temps et reprise par la presse. D'ailleurs, l'expression n'est utilisée que sur une chemise ouverte en 1929 à la Préfecture. Tout cela n'aurait donc qu'un intérêt d'anecdote oubliée si n'y était mis en évidence un "type" militant apparu dans la seconde partie des années 20, au temps de la bolchevisation puis de la stalinisation du parti français.
Enseignants l'un et l'autre, Crespin et Giraudet ont cependant un statut professionnel et social différent,  le premier étant instituteur, le second, professeur. Pas de ressemblance non plus  dans le comportement : M. Crespin (son prénom entier ne figure nulle part !) est "doux", aux dires mêmes du sous-préfet de Vendôme, alors que Gustave Giraudet était connu pour son style emporté. Une bonne génération les sépare : Giraudet, né en 1884, s'est éveillé à la vie politique au sein de la mouvance socialiste et "au feu" de la Grande Guerre ; Crespin, né en 1910, est un pur produit du communisme, version IIIème Internationale. Le professeur jouait un rôle éminent dans le parti naissant du département à travers ses articles de presse ; au temps de l'ouvriérisation du parti "bolchevisé", l'instituteur se contentait d'animer des cellules.
 
Bref, autre période, autres structures partisanes, autre tempérament personnel : ces deux hommes ne se ressemblent guère. Un trait pourtant les rapproche : la force de leur engagement militant -et professionnel- commune, on l'a vu, à bien des enseignants communistes, comme la forme profane d'une exigence de perfection. C'est d'ailleurs ce qui a conduit les autorités préfectorales à les surveiller étroitement, et les a poussés, eux, à braver le pouvoir, au risque de briser leur carrière.
M. Crespin apparaît dans les archives entre 1929 et 1933. Au service de son parti, il joue un triple rôle: animateur de cellules, propagandiste, militant enseignant.
 
En tant qu' instituteur, il participe  activement  au Groupe des jeunes, version enseignante du syndicalisme unitaire et des jeunesses communistes. Son nom apparaît à l'organigramme du Groupe dans L'Eveil des Jeunes , leur bulletin d'octobre-novembre 1930, comme "secrétaire à la vie sociale".
Ces jeunes instituteurs sont alors, dans le Loir-et-Cher, à la pointe du combat "classe contre classe"  qui entend dénoncer  les "réformistes", tant syndicaux que politiques. Ils ne voient dans l'action gouvernementale que "fascisation de l'enseignement (…) tendant à faire des jeunes éducateurs  des valets serviles et tout dévoués au régime actuel" mais perçoivent dans "les masses" un "esprit révolutionnaire" qui "se généralise et s'affirme".
Ce langage extrême et ce bain politico-syndical autant que professionnel en forme de credo entretiennent l'enthousiasme, soudent les militants au sein d'un réseau et fortifient des convictions quelque peu contradictoires : à la fois généreuses dans la célébration de la liberté ( "destinés à éduquer des hommes, il est nécessaire qu'ils [les instituteurs] soient hommes eux-mêmes" ) et féroces dans la dénonciation des "chefs traîtres de la CGT" et autres "valets du pouvoir".
 
Le rôle de "secrétaire à la vie sociale" n'apparaît pas clairement dans le bulletin d'octobre-novembre 1930. Il faut d'ailleurs attendre le n° 20  en mars-avril 1931, dans une parution qui semble s'essouffler, pour trouver sa signature au bas d'un article sur  "La CGTU et l'unité syndicale" : la tonalité y est semblable à celle du reste du bulletin, résolument maximaliste, avec le sentiment d'énoncer des propositions évidentes et justes et, sans doute, la ferme conviction qu'elles aboutiront. Son nom disparaît des organigrammes à partir de décembre 1931.
 
En dehors de son activité syndicale, il anime les cellules des lieux où il exerce son métier: Selles/Cher quand, à sa sortie de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Blois, il est nommé à l'école de La Garde, un hameau de Gy-en-Sologne; Cormenon-Mondoubleau après son déplacement-sanction à Saint-Marc du Cor, au nord du département. Il est enfin propagandiste des différentes causes mises en avant par la direction nationale.
 
En 1929, L'Internationale communiste, désormais entièrement contrôlée par Staline, impose aux partis affiliés une vision catastrophiste du monde  : la guerre est imminente et l'URSS s'apprête à subir l'assaut des pays capitalistes. Il importe donc de mobiliser "les masses" pour défendre la "patrie du socialisme". Le congrès du parti français, tenu à Saint-Denis début avril, adopte le cours ultra-révolutionnaire théorisé à Moscou. Consigne est donnée à tous de préparer activement les manifestations de la "journée de lutte pour la paix et pour la défense de l'URSS" le 1er août.
 
Dans le même temps, le gouvernement Poincaré, décidé à combattre le communisme, organise une surveillance serrée des dirigeants et en fait arrêter plusieurs dizaines  -parmi lesquels Maurice Thorez-  lors d'une réunion clandestine. Les préfets sont appelés à prendre toutes mesures destinées à contrôler les manifestations -en fait à les interdire.
Celui du Loir-et-Cher, on le sait, n'a pas de gros soucis à se faire, tant le mouvement communiste est faible dans le département. Mais lui aussi doit rendre compte et il demande aux Sous-préfets, aux gendarmes et aux policiers de détecter tout signe de mobilisation. A Blois, Vendôme et Romorantin, la police confirme qu'il ne se passera vraisemblablement rien. Deux endroits seulement attirent l'attention des autorités. Mer d'abord, où, selon un rapport du Maréchal des Logis de gendarmerie, qui tient le renseignement de leur patron, 25 ouvriers tanneurs "partageant les idées communistes" ont "manifesté le désir de ne pas travaillé le 1er août"; le gendarme toutefois est rassurant : 4 seulement (qu'il nomme…) sont des "meneurs" et tout restera calme. (rapport du 30 juillet 1929 - ADLC-4 M 224).
Second point d'agitation possible : le canton de Selles/Cher. Le chef de la brigade de gendarmerie informe, fin juillet, de "menées communistes" dues à l'activité de M. Crespin -"un agitateur acharné" qui a "un certain ascendant sur les habitants (…) plutôt en retard dans cette contrée.". En effet.
A Champcol, 80 personnes viennent écouter le jeune instituteur dans un débit de boisson, une cinquantaine à La Colinière, autre hameau de la commune de Gy-en-Sologne et une vingtaine à La Garde, là où il enseigne. L'enquête de gendarmerie, menée pourtant visiblement à charge, ne parvient pas à établir que l'instituteur a tenu des propos anti-militaristes outranciers : une dizaine de personnes ayant assisté à la réunion, y compris un non-communiste, affirment qu'il n'a rien été dit de répréhensible au cours de la soirée. Le gendarme doute fortement de la sincérité des témoignages mais il doit bien les enregistrer. Il n'existe donc aucun motif de poursuites judiciaires.
Mais, pour M. Crespin, les choses se gâtent quand même car, faute de place dans sa cuisine, il a animé la réunion dans la cour de son école. Circonstance aggravante, certaines invitations ont été confiées à des élèves. L'inspecteur primaire ne relève d'ailleurs que ces deux "fautes graves" dans le rapport qu'il rédige à la demande de l'Inspecteur d'Académie.
 
L'intérêt de ce rapport est triple.
Il montre d'abord la vigueur de la surveillance : après la gendarmerie, un inspecteur de l'instruction publique se livre ici à une véritable enquête qui le voit parcourir le hameau à la recherche de témoins et interroger l'adjoint au maire ainsi que plusieurs femmes, mères ou grands-mères d'élèves.
 
On devine ensuite son peu d'appétit pour ce travail : "il me semble, affirme-t-il, que c'est à la juridiction de droit commun à rechercher et à découvrir que ses discours sont punissables, s'ils le sont…".
 
S'y révèle enfin une certaine connivence entre les habitants du hameau et l'instituteur, due, pour partie sans doute, à l'estime professionnelle dont ce dernier jouit, y compris auprès des non-communistes : c'est un bon instituteur "doux et prévenant avec les enfants".
En haut, le rapport de la gendarmerie de Selles/Cher.
En bas, un tract (diffusé en 1931) d'appel aux manifestations du 1er août.
(dans ADLC-4 M 225)
M. Crespin n'a en effet rien d'un exalté.
 
Devant l'Inspecteur Primaire, il veut bien convenir qu'il a pris la parole au nom de son parti contre la guerre à Champcol et à la Colinière, qu'il a réuni des militants et sympathisants dans son école et qu'il a invité tout le monde à manifester le 31 juillet. "Conseillé" par l'Inspecteur d'Académie, puis par le conseiller général-maire (radical-socialiste) de Selles/Cher, il a même renoncé à participer aux rassemblements ou réunions auxquels il avait appelé, et qui, d'ailleurs n'ont pas eu lieu. Il ne conteste pas la "peine de réprimande" préconisée par l'inspecteur primaire -peine, à vrai dire, légère dans le contexte de l'époque-, pas davantage la mesure de déplacement qui le frappe -jeune stagiaire sortant de l'Ecole Normale d'Instituteurs, il ne peut d'ailleurs guère faire autrement- et il renonce à son droit d'appel. Selon l'Inspecteur d'Académie, il va même plus loin, dans un courrier du 8 août 1929 -courrier absent des archives : il "reconnaît les fautes qu'il a commises" et il est "décidé à ne plus faire de politique et à faire honnêtement son travail" [ tous les guillemets sont de l'inspecteur d'académie qui résume peut-être les propos de Crespin hâtivement, et dans un sens qui lui convient].
Mais cette douceur n'est nullement synonyme de résignation ou de pusillanimité. Quelques mois plus tard, en novembre 1929, l' "affaire de la cellule de l'Ecole Normale" le place de nouveau sous le regard des autorités : il a correspondu avec un Normalien, de façon semi-clandestine et en dépit des règlements. Il occupe alors un poste à l'école de Saint-Marc du Cor -où il a été déplacé au mois d'août précédent- et c'est le sous-préfet de Vendôme que le Préfet charge d'interrogatoire.
Là encore, M. Crespin ne nie rien : il a bien écrit à un Normalien et fournit même le nom de son correspondant. Comme le sous-préfet lui expose les peines qu'il encourt, il nous fournit la clé de son comportement si calme : il déclare qu'il agit "de propos délibéré et en puisant en lui-même ses convictions". Le représentant de l'autorité est incapable de saisir la force intérieure de son interlocuteur. Il y voit un "doux entêtement" qui lui paraît "assez vain", c'est à dire, au fond, une obstination un peu stupide, quand il devrait comprendre qu'il y a là une forme de courage inflexible dont la persévérance se nourrit de certitude. Si M. Crespin ne songe pas à dissimuler ses actes, c'est qu'ils lui paraissent à la fois nécessaires, évidents et utiles, en un mot : justes, et qu'il convient donc de les accomplir en pleine lumière.
extrait d'une lettre du Sous-préfet de Vendôme au Préfet (21 novembre 1929 - ADLC, 4 M 220)
Sa jeunesse -il n'a pas encore 20 ans- est aussi bien entendu une explication, avec sa part d'appropriation du monde, d'aspiration à la pureté, d'impatience et de témérité. C'est d'ailleurs peut-être ce qui lui vaut une certaine indulgence dont n'avait pas bénéficié six ans plus tôt le professeur Giraudet. Le maire radical-socialiste de Selles/Cher parle, par exemple, "d'emballement de jeunesse" dont il ne "faut pas lui tenir rigueur". Mais c'est aussi mésestimer sa détermination et son dévouement au parti qu'on retrouvera intacts quelques années plus tard.
Il faut croire que cette force intérieure est communicative. A Selles/Cher, il anime la cellule. Il crée même un "journal mensuel strictement intérieur au parti, nul autre ne doit le connaître" -quatre pages polycopiées à "36 exemplaires", à ne pas "jeter" ni "donner", mais à "brûler". Et comme on n'est jamais assez prudent, les noms des militants cités ne comportent que leur première syllabe (par exemple "Cres… " !), cette naïve clandestinité étant complétée par l'emploi d'un pseudonyme : M Crézanne ( ?).
les deux signatures de M. Crespin: si celle de droite est destinée à cacher son identité, c'est un bien mauvais choix!
Le premier numéro daté du 22 avril 1929 lui donne l'occasion de définir "son" communisme. "Tous les membres du parti, sans exception, doivent être des propagandistes fervents et incessants de la juste cause pour laquelle nous luttons. Ce n'est pas seulement une fois par mois le jour de la réunion  que l'on doit être communiste ; c'est dans tous les moments de sa vie, dans tous ses actes, dans toutes ses paroles. [souligné par nous] Toujours et partout, nous devons agir en communistes convaincus et décidés". Cette longue citation, extraite d'un article soustrait, en principe ! aux regards extérieurs, donc sans apprêt, en dit plus que toutes les sentences sous-préfectorales sur la détermination du jeune instituteur. Son engagement militant est un absolu, une raison d'être, en même temps qu'un enfermement volontaire.
" Allons, camarades, à l'œuvre pour  le journal, pour la cellule, pour le parti, pour la révolution et la société future des travailleurs ! ".
 
(conclusion de l'éditorial en première page)
Les quatre pages du "journal de cellule" débordent de volontarisme : le parti l'ayant demandé, il faut créer, sous peine "d'indiscipline", des "cellules d'usines, de rue, de fermes", "fonder un syndicat d'usine et du bâtiment", combattre la guerre et les "socialistes traîtres"; l'analyse de la situation relève de la même vision  "révolutionnaire" optimiste de la France et du monde : des grèves, le plus souvent victorieuses, se multiplient et, même "aux Indes", les "masses laborieuses" manifestent "leur mécontentement" en lançant des bombes contre le Parlement.
 
Dévoué au parti, totalement disponible et  indifférent aux jugements "bourgeois", Crespin, qui a manifestement écrit la totalité du bulletin et l'a polycopié dans son école, correspond presque tout à fait au type de jeunes communistes mis en avant par l'Internationale et à qui est confiée la direction du parti français : Barbé, Célor, Doriot, Thorez, Billoux, etc… Il ne lui manque que la qualité primordiale : être ouvrier. "Plus forte du Loir-et-Cher", comme il le précise dans un courrier adressé à la Région -et saisi lors d'une perquisition de la police- la cellule de Selles/Cher lui doit beaucoup et perd de son allant quand l'Inspecteur d'Académie le déplace à l'autre bout du département. Notons que l'on peut considérer comme une trace de son passage l'émergence de jeunes militants que l'appareil  promouvra, comme les frères Paumier, Robert, dont on reparlera, et Bernard qui sera député à la Libération.
C'est du coup la région de Mondoubleau qui bénéficie de sa présence.
 
Déplacé à Saint-Marc du Cor, il est l'objet d'une surveillance policière attentive, comme en témoigne un brouillon non signé figurant dans son dossier : "signalé le nommé Crespin à ministre Intérieur (sûreté générale) comme conscrit susceptible d'exercer propagande antimilitariste". Il est finalement réformé mais quand l'Inspecteur d'Académie propose sa nomination à titre provisoire à La Ferté-Beauharnais où l'instituteur vient de mourir, il se heurte au refus catégorique du Préfet : "impossible" écrit en rouge ce dernier -ou son représentant.
Deux tracts du début des années 30
Retour donc à Saint-Marc du Cor, dans une région où son opiniâtreté amène au parti communiste des adhérents ouvriers tanneurs. Le Commissaire spécial d'Orléans le note en juin 1930 : la cellule de Mondoubleau-Cormenon "fut très active au début subissant l'influence de l'instituteur Crespin". Ainsi, en moins d'un an, M. Crespin a réussi à implanter son parti dans une région et une activité marquées, il est vrai, par les dures conditions d'existence des milieux populaires. Autre preuve, négative celle-là, du rayonnement du jeune enseignant : "Depuis [son] départ, action nulle.", note le Commissaire spécial. Deux mois de son absence auraient-ils donc suffi pour éteindre le militantisme communiste ? Ou faut-il plutôt prendre avec réserve l'avis péremptoire du policier qui observe peut-être un peu hâtivement la situation locale ? 
Le début des années 30 rompt avec la prospérité économique française retrouvée dans les années 20. Voilà le pays gagné par la crise née aux Etats-Unis. Et voilà M. Crespin parcourant les villages pour y tenir des réunions plus spécialement tournées vers les paysans. Il reçoit le soutien de collègues instituteurs, militants jeunes et fervents comme lui -Marc Jallon, dont on reparlera, par exemple- et du Maire, pas encore révoqué, de Saint-Avit.
Extrait d'un tract sans doute rédigé et polycopié par M. Crespin en 1933.
Mais, au contraire des réunions pour la paix dans le canton de Selles/Cher, celles du Perche semblent moins consensuelles. La connivence ou, au moins, l'indulgence de la population ne sont plus de mises. C'est que le terrain n'est plus le même. Les paysans des années 30 sont soumis à une intense propagande, "populiste" dirait-on de nos jours, menée par un parti agraire puissant qui conduira, en 1935, un démagogue talentueux, Henry D'Halluin, dit Dorgères, aux portes de la Chambre des Députés lors d'une élection partielle à Blois. Anti-communistes, les "agrariens" et bon nombre de ruraux  supportent mal ces jeunes instituteurs révolutionnaires qui prônent la "lutte de classes", même si quelques-uns de leurs slogans sont voisins, par exemple le rejet de l'impôt.
 
Les réunions deviennent houleuses avec parfois quelques coups. Des élus de droite écrivent au Sous-préfet, "dégoûtés" selon le mot d'un adjoint au Maire de Mondoubleau. Le Sous-préfet, lui-même très anti-communiste, fait part de son étonnement au Préfet : pourquoi le gouvernement ne prend-il aucune mesure contre une telle propagande ? Et comme le duo Crespin-Gasnier (le Maire de Saint-Avit) se déplace à La Chapelle-Guillaume, c'est au tour du Préfet d'Eure-et-Loir de rapporter au Ministre de l'Intérieur la teneur de leurs propos, lesquels ont paru, selon lui, bien proches de ceux du parti agraire.
Du "dégoût" d'un adjoint au Maire de Mondoubleau (à gauche)...
 
...à l'étonnement du Sous-préfet de Vendôme (à droite).
Lorsque les communistes -et Crespin- tentaient de mobiliser la population pour qu'elle manifeste le 1er août en faveur de la paix et de la défense de la "patrie du socialisme", le pouvoir s'efforçait de détecter dans leurs propos une "incitation de militaires à la désobéissance". C'est cette incrimination qui a été retenue contre André Marty, Jacques Duclos, Maurice Thorez, etc…  et permis leur arrestation légale. Concernant les paysans, les propos à rechercher concernent le "refus de l'impôt". Préfets, gendarmes et, d'une façon générale, agents du pouvoir s'efforcent donc de trouver la trace de ce délit -et même crime- majeur : c'est ce que souligne, au sens propre, le Préfet d'Eure-et-Loire dans le courrier qu'il adresse à la Sûreté Générale.
 
Pourtant, le dossier Crespin ne contient aucune pièce faisant état de poursuites judiciaires, ou même disciplinaires, à ce sujet. Il faut croire que dans le Perche comme dans la vallée du Cher, l'instituteur a su peser ses mots: ses adversaires ont beau produire des "témoins", ils ne parviennent pas, semble-t-il, à lui attribuer des propos subversifs condamnables. On n'enregistre pas non plus de succès de recrutement ou seulement électoraux : l'intense campagne de propagande, au cours de l'hiver 1932-1933 et du printemps 33, n'a pas débouché sur un progrès significatif du communisme dans le Perche vendômois.
La dernière pièce du dossier est révélatrice des accommodements de l'état de droit avec les désirs des notables locaux : dans un courrier manuscrit du 16 septembre 1935, le Conseiller Général du canton de Mondoubleau, Hégon, demande au Préfet d'intervenir pour empêcher le retour à Saint-Marc-du-Cor de M. Crespin, "cet indésirable". Ce dernier est alors en congé de maladie et le nouveau maire de la commune "craint" son retour.
Les deux élus ont-ils obtenu satisfaction ? Le dossier Crespin ne nous dit rien là-dessus, et pas davantage les "annuaires" qui fournissent année après année une foule de renseignements sur le département, en particulier le nom des institutrices et instituteurs de chaque commune. En 1936, Saint-Marc du Cor fait partie des communes sans mention d'école -et le nom Crespin ne figure dans aucune autre. Petit mystère donc. La carrière enseignante de M. Crespin a-t-elle tourné court dans le Loir-et-Cher ? Dans ce cas,  la volonté répressive de l'autorité politique et le "doux entêtement" de l'instituteur se seraient conjugués pour y mettre fin.