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Militants
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Trois types
de fiches individuelles complétées par la police au début des années
1920
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Qui sont ces communistes loir-et-chériens que la
police est constamment chargée de surveiller ?
La trentaine de fiches individuelles, ou de
citations dans les rapports de police qui rendent compte de telle ou telle
réunion, ne concernent que les adhérents connus pour leur influence ou leur
activisme, 10 % au plus de l'effectif communiste en 1921. Ce maigre échantillon,
de surcroit presque entièrement constitué de Blésois, peut-il valablement
représenter les adhérents de base ? L'accès à des fichiers serait plus
significatif mais leur existence est hypothétique : "l'archiviste" désigné le 24
juillet 1921 à un congrès départemental est ensuite soupçonné d'avoir soutiré
des fonds à un autre adhérent et, du coup, sans doute exclu en octobre ou
novembre suivant (sans doute, car rien ne confirme ensuite cette exclusion).
Bref, les "archives" de 1921 pourraient bien avoir disparu…
Il faudra donc se
contenter de celles de l'administration et, du coup, passer par le filtre de son
regard, ce dernier d'ailleurs souvent plus riche d'enseignements sur le pouvoir
lui-même que sur ceux qu'on lui demande de surveiller. Il nous donne à voir ses
obsessions sur des organisations souterraines, la confusion entre sympathie et
adhésion, c'est à dire, en fait, sa connaissance approximative du monde
communiste. En retour, il est vrai que ce dernier, en se fermant comme le lui
commande d'ailleurs l'Internationale, alimente les fantasmes de complot. A
l'échelle d'un département rural sans tradition protestataire, ce double jeu a
beau paraître dérisoire, il n'en fournit pas moins sa moisson de
renseignements.
Les adhésions de 1921 étant rares, tous les premiers
communistes sont issus de la mouvance socialiste. Leur moyenne d'âge -40 ans- ,
semblable à celle des membres du premier Comité directeur national [Robrieux],
est élevée. Avant que l'organisation se durcisse, en particulier dans la seconde
moitié de la décennie, on ne note aucune attraction du nouveau parti sur la
jeunesse loir-et-chérienne. Cette situation se prolongera d'ailleurs dans les
sections puis cellules les moins actives du département : en 1930, à Vendôme,
selon un rapport du commissaire de police, la moyenne d'âge des 7 communistes
recensés était de 45 ans. A Romorantin en revanche, plus ouvrière, une cellule
groupe, en 1932, 20 jeunes, presque autant que la cellule adulte.
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Rapport du
Commissaire de police de Blois (1 avril 1924) - ADLC-4 M
222
Destinée aux jeunes ouvriers, la réunion
regroupe 51 personnes à la salle du Croissant, place de la
République à Blois (le "plus qu'ailleurs" est souligné par nous)
Le même orateur (désigné par le "Centre") parle le
2 avril devant 200 personnes à Romorantin mais modifie le thème de son
discours ("le devoir social des jeunes de la classe 24 quand ils seront sous les
drapeaux") car l'assistance n'est constituée que d'adultes.
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Peu
d'ouvriers...
A Blois, le maigre
monde ouvrier ne fournit pas de recrues repérées dans les rapports. Situation un
peu différente à Romorantin : le parti communiste recrute dans l'industrie
textile et, après le départ forcé de Gustave Giraudet, c'est un ouvrier
tisserand, André (encore prénommé Edouard dans quelques rapports) Roguet, qui
anime la section. Après la scission syndicale, les "unitaires" communistes ont
beaucoup plus de succès à Romorantin qu'à Blois : en témoignent les réunions
publiques de la GGTU souvent squelettiques au chef-lieu alors que le commissaire
romorantinais note un nombre respectable de participants en Sologne -non sans
préciser qu'il s'agit surtout de "curieux". Cette amorce
"d'ouvriérisation" reste cependant modeste : quand se met en place la nouvelle
organisation communiste à partir de 1924, aucune cellule d'usine n'est notée ni
à Romorantin ni dans le reste du département. Les deux rapports du Commissaire
spécial, en 1930 puis en 1932, ne citent que des cellules locales dans les
"rayons" loir-et-chériens. A Mondoubleau, toutefois, le rapport note que
"les 10 à 12 cotisants" sont "en majorité des ouvriers
tanneurs" -non sans préciser que l'activité de cette cellule ne dépendait
que de la présence d'un jeune instituteur et qu'elle avait cessé depuis le
départ de ce dernier.
Si le communisme loir-et-chérien séduit assez peu le monde
ouvrier, ses adhérents n'en appartiennent pas moins aux catégories
populaires. Les 22 Blésois cités dans les rapports de 1921 sont, pour la moitié
d'entre eux, employés; aucun ouvrier d'industrie dans cet échantillon : 4 des 5
travailleurs manuels identifiés, peu ou pas qualifiés, sont rangés dans le monde
un peu flou des "manœuvres" ou des "journaliers".
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Les 3 commerçants du
groupe sont "débitants" ou cafetiers et, bien que considérés par quelques
adhérents avec méfiance à cause de leur statut social et de leur supposée
richesse, ils présentent un triple avantage pour
l'organisation.
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D'abord ils peuvent héberger les réunions internes
("privées" dans le langage policier) dans une de leurs salles : c'est le cas du
café Grias (Emile Grias, ancien syndicaliste), rue du Vieux Pont, et du café de
l'Agriculture, place de la République. Ensuite les cafés sont un des lieux de la
sociabilité populaire urbaine et leurs tenanciers peuvent être des hommes
d'influence ou, à tout le moins, des relais d'information. Enfin, sans être
riches, ils ont plus de moyens que leurs camarades manœuvres et leurs dons sont
les bienvenus. Mais, signe d'une distance entre les idées communistes et
l'opinion moyenne de leur clientèle, ils n'affichent pas nécessairement leurs
convictions. "Ce que je vous demande, c'est de ne pas mettre mon nom en
évidence au sujet de ce don ; je le fais de bon cœur pour soulager les camarades
pauvres." fait dire à l'un d'entre
eux, cafetier rue de la Chaîne, le commissaire-rapporteur en septembre
1921.
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De Lamotte-Beuvron...
Quant à la section de Lamotte-Beuvron, seconde gerbe dans
notre moisson, elle n'apparaît dans les compte-rendu de Congrès fédéraux que par
une réflexion un peu désespérée de son délégué sur la "trahison" des francs-maçons. Pourtant, le
sous-préfet de Romorantin s'alarme -confidentiellement- auprès du Préfet, de
l'influence d'un horloger et demande la présence d'un policier à une prochaine
réunion (il n'y a pas à cette époque de commissariat à Romorantin)
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Un an plus tard -on mesure par là le degré
d'inquiétude des autorités ! - le commissaire de police de Blois envoie au
Préfet un portrait rapide de la section de Lamotte.
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Il
la juge "relativement importante" quoique son
"activité" lui semble "décroître". Il précise surtout qu'outre l'horloger
cité par le sous-préfet et animateur de la section, celle-ci compte plusieurs
surveillants de la colonie pénitentiaire pour
enfants (Saint-Maurice) et deux employés de la compagnie de chemin de
fer Paris-Orléans (le "PO"). Il ajoute à cette liste un instituteur. Mais il ne
précise pas la profession des autres, pourtant les plus nombreux, puisqu'il
estime le total à 50, jugés par lui "en majorité peu
intéressants".
On
voit que les autorités policières et administratives n'accordent d'attention qu'à
des hommes considérés comme influents, fonctionnaires, employés des transports,
enseignants. On voit aussi que, deux ans après sa naissance officielle, le
communisme continue d'exercer une certaine attraction sur des groupes sociaux
différents de son "cœur de cible", le monde ouvrier.
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...à Vendôme
La troisième gerbe, la cellule de
Vendôme, est étudiée, on l'a vu, par la police, à la demande du ministère de
l'intérieur, en 1930. Sept adhérents, sur la dizaine qu'elle regroupe, selon le
Commissaire, font l'objet d'une fiche détaillée.
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A l'exception d'Alfred
Péricat, figure historique de la gauche vendômoise, tous appartiennent aux
milieux populaires, professionnellement qualifiés et socialement bien intégrés.
Le groupe compte deux véritables ouvriers,
un tanneur et un " lignard " PTT, les autres étant employés ou indépendants. Le
policier rédacteur des fiches le note pour tous : ils sont "bien" ou
"assez bien considérés". Leur apathie militante est soulignée : aucun
ne "fait de politique militante" et l'activité consiste seulement à
lire les circulaires nationales et à "déplorer l'insuccès des idées
communistes dans le Vendômois". Pour tous ces hommes, le communisme semble
donc plus une éthique politique qu'une espérance révolutionnaire concrète. La
plupart, déjà d'âge mûr, ont opté pour le communisme en 1920 dans une section
socialiste acquise majoritairement à la IIIème Internationale, avec la même
ambiguïté que le reste de la Fédération loir-et-chérienne, faite d'abord de
refus passionnel des compromissions de l'Union Sacrée, et très secondairement
d'adhésion aux thèses "bolchevistes". La fermeté et l'ancienneté de leurs
convictions de gauche -Péricat, le plus âgé, a suivi tout le cursus du
gauchissement, du radical-socialisme au communisme- restent dans la ligne
abstraite du guesdisme : intransigeance doctrinale et accommodement social. Le
"bien considéré de son employeur -ou à Vendôme" est en réalité un
"label" policier qui signale leur intégration réelle dans la société locale,
bien éloignée de toute pulsion révolutionnaire.
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Les paysans
La 5ème condition d'adhésion à la IIIème
Internationale (nécessité d' "une agitation rationnelle et systématique dans
les campagnes") n'a connu de commencement d'application dans le
Loir-et-Cher, pourtant département rural par excellence, qu'à partir de la fin
des années 20. Au début, il est seulement question d'envoyer dans les villages
("les coins les plus reculés") un propagandiste qui risquerait
pourtant, selon un adhérent, il est vrai, marginal, de s'y "faire casser
les reins". Mais aucune suite n'est donnée.
Impossible d'identifier, au début des années 20, des
militants paysans, à l'exception de Sylvain Chevet, vigneron et maire de Saint-Romain/Cher
-mais venu du parti SFIO et tardivement rallié au communisme, qu'il quittera
d'ailleurs-, et d'Alfred H., cultivateur à La Ferté Beauharnais, que les
gendarmes caractérisent comme "un antimilitariste très dangereux" : le
pacifisme reste alors la porte d'entrée, parfois exclusive, dans le mouvement
révolutionnaire, en même temps que l'objet d'une surveillance serrée par le
pouvoir.
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Plus tard, au début
des années 30, au moment où le parti crée une "Confédération Générale
des Paysans Travailleurs", quelques noms de cultivateurs apparaissent
dans un dépôt de statuts. L'Union régionale de la CGPT, née en juin 1930 et qui
recrute sur trois départements (Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Indre) fixe son
siège à Montrichard. On peut supposer que les membres du Bureau sont adhérents
communistes -sans que cela soit avéré. Les 11 responsables cités ( le Président,
le vice-président , six administrateurs et trois contrôleurs ) sont des paysans
de la vallée du Cher (Angé, Mennetou, Chenonceaux, Civray, Chabris, Pouillé,
Dierre, La Chapelle Montmartin), onze vignerons-polyculteurs.
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A la même époque,
l'activisme un peu maladroit du jeune instituteur de La Garde (commune de
Gy-en-Sologne) déclenche une enquête qui met en évidence une certaine sympathie
de quelques paysans, certains très jeunes (16 ans). Les gendarmes et, surtout,
l'Inspecteur primaire ne peuvent dissimuler l'écho que recueille l'enseignant
auprès des paysans : les premiers reconnaissent que plusieurs personnes
interrogées refusent de mettre en cause l'instituteur, le second précise même
que des "hommes socialistes et communistes de La Garde semblent obéir à une
sorte de consigne du silence". Rien n'indique que cette attitude soit celle
de militants ; peut-être après tout relève-t-elle de la vieille méfiance
éprouvée par le monde rural face à une autorité extérieure à la communauté. Mais
au moins elle ne révèle pas d'hostilité systématique devant la propagande
communiste.
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Les années trente
voient l'émergence d'un fort mécontentement rural capté, à droite, par un "Parti
Agraire", et en faible partie, à gauche, par les communistes. Le premier semble
assez puissant pour permettre à un démagogue quelque peu fascisant, Dorgères, de
menacer le radical-socialiste Emile Laurens aux élections législatives
partielles de 1935 dans la 1ère circonscription de Blois. Les seconds sont beaucoup moins implantés mais on note
plusieurs cultivateurs parmi les cadres locaux : les cellules de Mennetou/Cher,
La Ferté Beauharnais et Selles/Cher ont pour secrétaire l'un d'entre eux.
Robert Paumier, par exemple, jeune vigneron de
19 ans en 1932. On entend même beaucoup parler de lui au cours d'une tournée de
conférences prononcées à son retour d'URSS, au cours desquelles, assisté de
Fernand Grenier puis de Jean Lurçat, il fait l'éloge de la nouvelle agriculture
soviétique et de l'armée rouge. Il écopera aussi de 30 jours de prison
militaire, au prétexte d'une participation à une réunion communiste au cours
d'une permission ! Une classique campagne est alors organisée : réunions
publiques, affiches, visites de députés communistes, toute une panoplie
d'agitation-propagande qui assure la visibilité maximale d'un militant
exemplaire.
L'opération provoque même la réaction -sous
le sceau du secret, il est vrai- d' un militaire de haut rang , outré qu'une
réunion de soutien ait pu se tenir dans une salle municipale de Blois. Ce haut
gradé mécontent fera aussi parler de lui : il s'agit du Maréchal
Pétain…
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Réunion de
soutien à Robert Paumier...
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...protestation de
Pétain!
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On a pu noter
plusieurs fois le rôle d'enseignants dans l'animation de l'activité communiste
départementale. Ce rôle est l'objet d'un chapitre
particulier.
Et les femmes ? Peu de traces en vérité
dans les liasses consultées. Une présence à quelques réunions internes est
signalée par le Commissaire de police de Blois. Elle concerne deux femmes,
épouses, dit le rapport, de militants. Et c'est tout. Sur chaque compte-rendu de
réunion publique, le Commissaire-rapporteur fait figurer les femmes sous la
forme: tant de personnes présentes dont tant de "dames", et ce nombre est
toujours faible. Un tract (ci-contre) des années 20, mais non daté, invite les
femmes à lutter pour obtenir des droits identiques à ceux des hommes mais il
s'adresse à elles d'abord en tant que femmes, mères de famille. Et, on le sait,
l'égalité hommes-femmes, telle qu'elle commence à s'affirmer en termes
d'exigence dans les années 70, n'était pas un thème de
l'époque...
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