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Le premier rapport conservé dans la liasse
"communistes" rendant compte d'une "réunion privée
", rédigé par Joseph Fogel,
Commissaire de police de Blois (dans 4 M
222)
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Aux Archives Départementales du
Loir-et-Cher
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La cote 4 M 222
est nommée : "communisme", les cotes 223 à 225, "Mouvement
communiste" (223), "Journées communistes" (224),
"Communistes, quelques dossiers individuels" (225). On trouve encore
sous d'autres cotes, à côté de rapports concernant d'autres mouvements
considérés comme "extrémistes" (4 M 220), des dossiers consacrés à
l'arrondissement de Romorantin (1 Z 66 - "Mouvements politiques
suspects") ou à des "affaires spéciales" (dans 1 M 268 -
"Affaire Giraudet"). Toutes ces liasses contiennent des documents
de nature identique. Pour la quasi-totalité, ce sont des rapports de police et
des échanges circulaires ministérielles/notes préfectorales.
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Les rapports de police
et de gendarmerie les plus nombreux sont des comptes-rendus de réunions,
publiques ou "privées", les autres répondent à des demandes d'enquêtes sur des
personnes et de prévisions de manifestations. Pratiquement tous manuscrits dans
les années 20, ils émanent de 2 commissaires (Blois, Romorantin) du département,
d'un "commissaire spécial" basé à Orléans, du commandant départemental de la
gendarmerie et en quelques circonstances des gradés cantonaux. Le destinataire
des récits policiers est, la plupart du temps, directement le Préfet.
Si la méthode de surveillance des réunions publiques est simple
-un policier assiste à la réunion-, celle des réunions "privées" reste
mystérieuse. On pense évidemment à un informateur infiltré, un
"mouchard", et l'hypothèse est avancée par un vieux militant en janvier 1922 :
"je suis presque certain qu'il y a un mouchard parmi nous. L'année dernière
j'ai eu l'occasion de parler avec lui [le Maire de Blois] il m'a bien dit que
nous étions 14 et cela était rigoureusement exact ". La thématique du "mouchard" est héritée du
XIXème siècle où la clandestinité était une nécessité vitale pour les
mouvements, révolutionnaires ou non, opposés aux pouvoirs. En la circonstance, elle ne
favorise pas l'ouverture du groupe: si on doit dissimuler son appartenance, comment recruter largement ?
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Réunion de la section
de Blois (25 novembre 1922) - ADLC-4 M 222 - Naïveté de militant peu au fait de
l'action clandestine (et clin d'oeil du commissaire qui s'amuse à noter la
remarque: s'amuserait-il autant s'il prenait l'organisation au sérieux
?)
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Si mouchard il y a,
il faut qu'il soit parmi les adhérents qui assistent, comme délégués de la section
de Blois, aux congrès fédéraux, puisque les compte-rendus portent aussi sur
ces derniers. Mais, comme ils sont peu nombreux, un éventuel informateur courrait
le risque d'être démasqué par ses camarades. On ne peut néanmoins pas écarter
l'hypothèse d'un indicateur même si le style du compte-rendu ne correspond pas à
celui de propos rapportés. Le plus probable est que le commissaire
de Blois assiste aux réunions. Mais comment ? Impossible, pour un policier, de
prendre place dans un groupe restreint et qui a conservé du 19ème siècle le goût
de la discrétion et la méfiance des "flics" ? Il a donc fallu trouver un moyen
pour écouter les militants, les compter, les nommer souvent, citer leurs paroles
avec des guillemets, bref, assister à leurs réunions de l'extérieur. Jamais le
commissaire ne confie sa recette; il s'amuse même parfois à citer l'un des
participants qui se plaint de ce que les autorités sachent tout des propos
échangés -manière pour lui, en outre, de souligner l'excellence de son travail.
Selon toute vraisemblance, le commissaire de Blois prend place
dans un lieu attenant à la salle de réunion. A preuve, on peut citer le rapport
du 15 avril 1923 : le congrès se déroule alors au premier étage, dans la salle
du café Datté, rue de la Vieille Poste ; "il a été impossible de
pénétrer à proximité de la salle du congrès", indique le commissaire qui,
du coup ne peut rendre compte et se contente de signaler les heures d'entrée et
de sortie et le nombre de participants. Autres indications : dans ses rapports, le commissaire cite
souvent par leur nom les militants connus; les autres sont désignés par :
"un assistant" ou "un camarade"
; parfois
ils sont identifiés par leur voix ("la voix fluette comme celle de
l'instituteur de Ronceraie"). Enfin, quand la réunion a lieu en juillet, le
commissaire est en vacances et son remplaçant, moins au fait, ne peut citer de
nom : il entend mais ne voit pas.
Policiers et gendarmes ne peuvent
entièrement taire leurs sentiments sur ceux qu'ils surveillent mais ils
s'efforcent en général de faire leur métier, c'est à dire d'en rester au
factuel. Le Commissaire de police de Blois, Joseph Fogel, se montre d'une
"neutralité" remarquable dans ses comptes-rendus de réunions "privées" : il
enregistre les propos, les résume parfois d'un "une longue discussion
s'engage sur…" mais ne se laisse aller à une appréciation personnelle que
rarement. Ainsi, le 30 septembre 1921, juge-t-il la réunion de la veille
"sans aucun intérêt", ou encore, le 2 février 1923, les adhérents de la section de
Lamotte-Beuvron en majorité "peu intéressants" -sans d'ailleurs préciser ce qui
rendrait "intéressant" un militant aux yeux d'un commissaire de police...
Quel degré de fiabilité ces rapports présentent-ils ? On n'y
lit presque aucune discussion ou débat de caractère politique. Un adhérent
remarque (1er avril 1922): "Camarades, nous n'avons jamais parlé de l'impôt
sur les salaires..."
! La plupart des séances sont occupées par des
échanges, parfois violents, sur des sujets pratiques : comment faire adhérer de
nouveaux membres, pourquoi tel ancien ne vient plus, à qui confier des affiches,
qui sera secrétaire, etc …
Alors, est-ce le Commissaire qui considère
que les débats théoriques ne relèvent pas de sa surveillance et omet
volontairement d'en rendre compte ? Ou la pauvreté du contenu doit-elle être
mise au passif exclusif des participants ? La durée souvent brève des réunions,
scrupuleusement notée par le commissaire, et leur désordre, chacun prenant,
semble-t-il, la parole sans trop se soucier des autres, donnent plutôt crédit à
la seconde hypothèse. En avril 1922, un vieux militant doit frapper "à coups
de bâton sur une table" et crier que "si c 'est tout ce que nous
discutons, ce n'est pas la peine de nous déranger" pour que le silence soit
rétabli. Les congrès fédéraux ne sont guère plus relevés. A une ou
deux exceptions près, les délégués des sections consacrent leur temps à évoquer
des questions pratiques d'organisation. En une circonstance, à la suite d'une
violente altercation entre deux militants romorantinais, le Commissaire entend
même un délégué dire en partant dans l'escalier : "pas la peine de faire 60
km pour entendre ça".
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Le déroulement
du Congrès du 9 avril 1922 est un exemple probant de réunion sans contenu
politique, selon le rapport dressé par Joseph Fogel. En 4 heures, les 25
délégués :
-se répartissent des livres reçus
de Paris sur le Communisme aux champs ; -entendent Silvain Chevet exposer
sa charge de travail (maire de Saint-Romain et secrétaire du parti)
; -discutent sur la façon de s'emparer du journal "Le Progrès de
Loir-et-Cher" ; -apprennent qu'un journal inter-fédéral va être créé
; -reviennent longuement sur la façon de s'approprier Le Progrès et se
répartissent les visites aux actionnaires communistes du journal
; -décident de ne pas répondre à Besnard-Ferron (dirigeant SFIO) à propos
des frais de la campagne législative de 1919 (donc, avant la scission)
; -envisagent un calendrier de tournée de propagande et parlent des
économies à réaliser en hébergeant l'orateur ; -entendent de nouveau Chevet
sur l'étendue de ses charges ; -examinent et critiquent la comptabilité du
précédent secrétaire, Miard, et créent une commission de contrôle
; -adressent un blâme à la section de Saint-Aignan pour son absence
; -apprennent le nombre d'adhérents dans le Loir-et-Cher.
Et ce n'est que lorsque les congressistes
descendent l'escalier pour partir, que le Secrétaire se souvient qu'ils doivent
émettre un vœu pour la libération de Marty et Badina, deux "mutins de la Mer
Noire", figures héroïsées du parti naissant… Le Commissaire ajoute que les uns
continuent à descendre quand les autres écoutent sans rien
dire.
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Ainsi se déroulent les réunions
internes, très éloignées des affrontements entre tendances qui marquent la
naissance du parti au niveau national et que la démission de Frossard,
secrétaire général, et le ralliement de Cachin aux partisans du bolchevisme,
Loriot et Souvarine, clôturent au début de 1923. Une seule réunion
semble faire exception et permet de situer plus précisément les communistes
loir-et-chériens dans ce débat à partir des comptes-rendus de police, celle du
14 janvier 1923.
Fédérale -mais sur 11 sections, 5 sont seulement
représentées- elle doit tirer les conséquences des décisions de l'Internationale
et de la démission de Frossard, une semaine avant que le Conseil National
renouvelle la direction du parti. Le Comité exécutif de l'Internationale avait
imposé au parti français une "épuration" afin d'éliminer les
"centristes"
-c'est à dire ceux qui souhaitaient se soustraire à son
autorité absolue. Le moyen imaginé par Trotsky était de rendre incompatibles
l'appartenance au parti et à la franc-maçonnerie ou à la Ligue des Droits de
l'Homme.
Choix douloureux pour bien des "vieux" socialistes! Une
réticence apparaît d'ailleurs à Montrichard dont le délégué s'affirme
"fermement hostile à toute exclusion" et prend la défense d'une figure
du socialisme local, "le père Boucher" [Etienne Bouchet, instituteur à
Saint-Georges-sur-Cher]. Mais en fin de
compte, toutes les sections, y compris celle de Montrichard, entérinent
"sans réserve ni discussion" les décisions de l'Internationale, le
délégué de Vendôme accusant même Frossard de "lâcheté". Ce "congrès fédéral" est aussi l'unique réunion qui s'achève
par un "ordre du jour " clairement politique, dans un style
volontariste qui sera toujours la marque des résolutions -dirions-nous
aujourd'hui- communistes.
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"Ordre du jour" final du Congrès fédéral du 14 janvier 1923, qui a
entériné l'exclusion des francs-maçons et des membres de la Ligue des Droits de
l'Homme
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De tous les autres
compte-rendus de réunions sans contenu politique, on peut bien sûr conclure que les policiers,
pour qui les disputes, assez fréquentes et, parfois, violentes (le 14
octobre 1921, "on en vient presque aux coups") s'expliquent par
l'ébriété de tel ou tel, n'en comprennent pas le sens, étrangers qu'ils sont au
langage et aux idées "révolutionnaires". Dans ce cas, ils passent à côté de
débats réels, pour eux sans intérêt politique et, finalement, sans incidence sur l'ordre public
qui justifie leur surveillance. Reste que l'absence d'actions en direction de la population
ouvrière conforte plutôt l'idée d'une grande apathie de l'organisation communiste au cours
de ses premières années d'existence en Loir-et-Cher. Quoi qu'il en soit,
le Préfet, confiant dans les rapports de sa police, n'éprouve pas
d'inquiétudes excessives après les avoir lus : une organisation révolutionnaire
aussi peu structurée et dont les débats semblent aussi médiocres ne pouvait
guère mettre en danger l' "ordre républicain". C'est ce qu'il transmet sans
relâche au Ministère de l'intérieur.
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