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Des "investigations
malpropres" ?
Sans être très abondantes, les
pièces figurant au dossier Giraudet en disent tout de même un peu sur les
méthodes de surveillance à l'œuvre dans les années 20.
La droite et le centre-droit étant au pouvoir, la presse de
gauche s'offusque naturellement de l'usage
fait de la police. "Un sentiment de dégoût profond" saisit "Le
Nouvelliste" ; à Paris, "L'Oeuvre" parle de "torchon" pour désigner le
papier d'origine policière qui aurait fondé l'accusation contre Giraudet, et le
"Progrès de Loir-et-Cher" dénonce les "investigations malpropres des
policiers à gages". La presse syndicale et professionnelle proteste,
elle, contre "l'ingérence" du Préfet dans les affaires
universitaires.
Rien de surprenant dans le contexte
pré-électoral de 1923 et rien d'étonnant non plus dans la violence du ton à une
époque "brutalisée" par la terrible épreuve 14-18. Et il est vrai aussi que
l'autorité préfectorale en fait beaucoup pour éloigner le professeur communiste.
Mais les archives -celles du moins qui nous sont parvenues -permettent-elles de
confirmer un système administratif policier aussi organisé qu'occulte
?
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Extrait de brouillon
préfectoral
dans 4 M 222 (ADLC)
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Le cadre
réglementaire dans lequel le Préfet exerce sa surveillance est fixé par
deux circulaires confidentielles du Ministre de l'Intérieur des 27
juillet et 21 novembre 1921, qui lui enjoignent de "signaler les
membres de l'enseignement public se faisant remarquer par quelques
manifestations contraires à l'ordre et aux institutions". L'autorité
académique, elle, est guidée par la circulaire du 18 mai 1921,
conjointe aux deux ministères de l'Intérieur et de l'Instruction Publique. On
voit que le Pouvoir a rapidement réagi à l' "agitation révolutionnaire".
Concrètement, cela l'amène à surveiller particulièrement les enseignants gagnés
à la "IIIème Internationale de Moscou", selon l'expression du Directeur
de la Sûreté Générale de juillet 1921 -ou seulement suspectés de
l'être.
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La rigueur n'est pas
la qualité première de cette surveillance. Périodiquement, arrivent, venant de
la Sûreté Générale, des listes de noms, parmi lesquels beaucoup d'enseignants,
trouvés lors de perquisitions et pour qui une fiche de renseignements est
demandée.
Mais ces listes sont souvent anciennes,
les noms y apparaissent déformés et des enseignants visés se révèlent étrangers
à tout militantisme politique. Plus grave, des correspondances privées sont
violées lorsqu'elles émanent de militaires ou s'adressent à eux. Plus grotesque,
le Sous-préfet de Vendôme signale -de sa main ! -au Préfet, que l'instituteur,
communiste reconnu, de Pray s'apprête à ...se marier. Plus sérieux, dans chaque
compte-rendu de réunion, publique ou privée, le commissaire de police prend soin
de relever la présence et les propos des communistes enseignants. Le 12 février
1922, par exemple, le commissaire cite un délégué de Montoire, qu'il appelle,
faute de le voir, X… : "il a une voix comme l'instituteur-adjoint de
Vienne". Et, toujours en vertu des circulaires de mai, juillet et novembre
1921, les enseignants réputés communistes sont "suivis" quand ils sont appelés
au service militaire ou quand ils souhaitent changer de département.
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Page 2 d'un rapport (7 novembre 1921) de
l'Inspecteur d'Académie au Préfet. Ce dernier avait répercuté une demande
de renseignements de la Sûreté Générale.
[liasse 4 M
222-ADLC]
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Dès 1921, Gustave
Giraudet a naturellement fait l'objet d'un signalement à l'occasion, en
particulier, de sa candidature et de son élection au Conseil municipal de
Romorantin.
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Rien d'exceptionnel
donc dans son cas sinon qu'il mobilise, semble-t-il, le zèle répressif du
sous-préfet de Romorantin. Est-ce là pour ce dernier un engagement particulier
dû à un positionnement politique proche du " Bloc National ", qu'on sait
radicalement opposé au "bolchevisme" ? Mais un courrier "personnel" du
20 mai 1923, adressé au Préfet, semble démentir une quelconque antipathie
puisqu'il reconnaît être intervenu "personnellement" un an et demi
auparavant -et avec succès- auprès du Trésorier Payeur Général afin
d'accorder au professeur un délai de paiement d'impôts.
Il faut plutôt penser que la qualité de
"professeur" de Giraudet et le poids que son activité militante, renforcé par
son statut d'élu municipal, lui donne au sein de la population ouvrière
romorantinaise, ont fait prendre plus au sérieux la "menace
subversive". Le sous-préfet n'aura pas, après son départ forcé, la même hargne
contre son successeur au secrétariat communiste de Romorantin, l'ouvrier tisserand
André-Edouard Roguet, pourtant actif. Il est pénétré de l'idée évoquée plus
haut, qui exige des enseignants de la réserve, à une époque, rappelons-le où les
fonctionnaires n'entrent pas dans le droit syndical commun. Qu'un ouvrier sans
formation scolaire ait des idées "bolcheviques", cela se conçoit, bien que
restant inacceptable. Mais qu'un professeur, diplômé de l'enseignement
supérieur, puisse militer dans un parti "extrémiste", et plus encore, utiliser
la formation que la République lui a donnée pour accroître son influence, cela
constitue une "indignité" compte tenu des "fonctions qu'il
exerce".
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Lettre "personnelle" du Sous-préfet de
Romorantin au Préfet du Loir-et-Cher (dans ADLC-1 M 268).
La liberté de ton permet de mesurer l'exaspération du Sous-préfet et sa
certitude quant à la nécessité quasi civique d'éloigner G. Giraudet afin de
"l'empêcher de nuire".
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Le Sous-préfet
multiplie alors les notes personnelles ou confidentielles au Préfet sur les
faits et gestes du professeur. Ainsi fait-il état de ses conversations avec le
maire de Romorantin, lui-même en contact avec le Principal du Collège, qui se
dit menacé d'une "campagne de presse" par Giraudet.
Celui-ci aurait demandé un congé à un
médecin assermenté de Romorantin, et envoyé au Directeur de l'enseignement
secondaire un télégramme dont la copie a été remise au sous-préfet par le
Receveur des Postes, et apostrophé en pleine rue le secrétaire de la
sous-préfecture avec une certaine "violence", et pris le train le soir pour
passer la nuit chez un ami communiste de Salbris, et recruté un professeur de
philosophie de Vendôme, selon le Commissaire de police qui tiendrait
l'information d'un agent ayant surpris une conversation de rue…
Tout cela, communiqué "à titre
confidentiel sous toutes réserves", ressortit moins d'un
système et d'une bureaucratie de surveillance,
organisés rigoureusement pour collecter et traiter des informations, que
d'un réseau de connaissances politiques et
personnelles, mis à contribution ponctuellement.
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Le sous-préfet tente
même de mettre les responsables militaires à contribution. Sollicité par
une communication confidentielle, le Commandant d'armes de Pruniers -une base
près de Romorantin -prend vite le parti de l'autorité contre un communiste
réputé anti-militariste, d'autant que ce dernier a évoqué, sous pseudonyme, dans
un article du journal "L'avant-Garde" des incidents au sein de son unité. Le
voilà prêt à casser de son grade le sergent de réserve Giraudet et à lui
chicaner des citations qu'il pense usurpées !
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Ce qui démontre ici plus un "bricolage"
personnel du sous-préfet qu'une opération coordonnée, c'est la recommandation
faite au militaire : ne pas faire état de sa "communication toute
personnelle" dans son rapport [lettre confidentielle au Préfet du 18 avril
1923 - ADLC, 1 M 268]. Et comme la hiérarchie militaire a son propre rythme,
l'affaire, montée au Général de Corps d'Armée, ne redescend qu'au mois de juin.
Mieux encore : alors que Giraudet n'est plus à Romorantin, en août, la Sûreté
Générale parisienne en est encore à questionner le Préfet sur son pseudonyme
journalistique, à propos d'articles parus dans l'Avant-Garde deux mois plus
tôt...
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Tout cela, qui manque
un peu de rigueur, circule sous le sceau du secret -obsession militaire
oblige- et se perd, on l'a vu, dans des délais importants. D'ailleurs
personne n'en saura rien et aucune conséquence ne
suivra.
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En outre, en dépit de circulaires volontaristes, aucune unité
administrative ne se manifeste et l'autorité préfectorale doit tenir compte des
fortes réticences de la hiérarchie académique.
Sans indulgence, on l'a vu, pour Giraudet et ses idées, le
Recteur et l'Inspecteur d'Académie sont loin de vouloir partager la
volonté répressive du Préfet à son encontre. Il faut voir là la distance
traditionnelle de l'Université avec le pouvoir politique, hautement revendiquée,
toutes opinions confondues. Il faut aussi admettre que, formés à l'école
radical-socialiste quelques décennies plus tôt, ces fonctionnaires se font une
haute idée de la liberté d'expression et des droits de l'homme. Paul Appell,
tout comme Raymond Poincaré d'ailleurs, fut un ferme dreyfusard. Pour
l'Inspecteur d'Académie, c'est le Sous-préfet qui l'écrit dans un courrier
"personnel" au Préfet : "M. l'Inspecteur d'Académie n'a-t-il pas
voulu alors, ainsi qu'il me le disait il y a quelques temps défendre en lui
la liberté d'opinion et la liberté de penser [souligné par nous] ? ".
Fin janvier 1923, dans un rapport au Ministre de l'Intérieur,
le Préfet s'agace : la hiérarchie de Lavau, employé à l'Assistance Publique, a
sanctionné ce fonctionnaire, signalé en même temps que Giraudet. Pourquoi
l'Inspecteur d'Académie n'a-t-il pas fait de même pour ce dernier ? Le
Sous-préfet, quant à lui, voit de la "licence" et non de la liberté dans le fait de laisser
un professeur critiquer -lui dit plutôt dénigrer et bafouer- les institutions et
ceux qui les ont en charge.
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Enfin, la présence dans le "dossier
Giraudet" de nombreux articles de journaux indique l'attention que le Préfet
accordait à l'expression des opinions, même quand il souligne, dans une sorte de
rapport final au Ministre, qu'elle est "particulièrement
tendancieu[se]". Et si "La République" peut reproduire en fac-similé (voir ci-contre) un
"rapport policier" (qui est, d'ailleurs, plus vraisemblablement
d'origine administrative que policière), c'est bien que la presse d'opposition
peut avoir des informateurs à l'intérieur même de la préfecture.
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A tout le moins, cela
montre des failles dans un éventuel système policier opaque...Il y a bien dans
cette affaire une volonté répressive dont on peut suivre les étapes. Et il a
bien eu répression. Mais l'ensemble de pièces disparates qui nous parvient est
loin d'indiquer une organisation froide et rôdée à la surveillance. La
République avait un demi-siècle d'existence, l'état de droit sans doute un peu
moins. Les deux étaient suffisamment installés pour rendre difficiles les
dérapages les plus grossiers.
Le régime soviétique qui alimentait la
"foi" de Gustave Giraudet, possédait, lui, on le sait aujourd'hui, les
techniques "d'ingénierie sociale" (voir les travaux de Nicolas Werth) propres à
briser toute "subversion": il est heureux pour le professeur romorantinais
qu'elles n'aient pas été à l'oeuvre en Loir-et-Cher en 1923!
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