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Un Conseil Municipal pendant l'occupation
En dépit d'une phraséologie "révolutionnaire", Vichy n'a finalement guère touché aux structures communales, tout en accentuant le sévère encadrement des Conseils Municipaux. Si bien qu'une double lecture des délibérations continue d'être autorisée : d'une part celle de l'action locale propre à chaque collectivité, d'autre part, celle de la volonté préfectorale que les élus locaux doivent accomplir quel que soit leur propre jugement -à moins de démissionner, ce qui fut le cas, on le verra plus bas, d'un Maire du Loir-et-Cher sur quatre.
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De
septembre 1939 à avril
1945, le Conseil Municipal de Cellettes s'est réuni 37 fois, un rythme semblable
à celui du temps de paix. L'année maigre fut …1944, avec 4 séances en tout,
et aucune réunion du 21 mai au 20 octobre, c'est à dire aucune vie publique
officielle pendant les 5 mois où s'accomplissait le destin du pays. Aux Ordres
du Jour habituels des 4 sessions annuelles se sont ajoutées les lourdes et
coûteuses préoccupations du temps : paiement -d'assez mauvaise grâce -
des frais liés à l'occupation, aides aux familles de prisonniers, gestion des
politiques mises en place par Vichy.
L'assemblée qui a dû affronter ces temps
bouleversés, élue en 1935, était âgée
. Comme dans bon nombre de communes rurales,
affaiblies par la terrible épreuve de 14-18 et la poursuite de l'exode rural,
le renouvellement des élus cellettois ne s'est pas effectué entre les deux guerres.
En 1945, la plupart des Conseillers exerçaient leur mandat depuis 20 ans au
moins, deux avaient même été élus pour la première fois avant la Grande Guerre.
Le benjamin était presque sexagénaire, le Maire et son Adjoint,
octogénaires, et la moyenne d'âge des 8 conseillers survivants
dépassait 70 ans. Il avait fallu, dès 39-40, remplacer deux piliers du Conseil
Municipal décédés, Edmond Poirier, Adjoint depuis 1919, et Philippe Merveille,
déjà délégué au Bureau de Bienfaisance avant la guerre 14-18, et les remplaçants
n'avaient pas nécessairement fait l'unanimité -le second adjoint ne réunissant
que 6 voix sur les 11 conseillers restants. Enfin, comble d'infortune, le Maire
avait eu un grave accident en novembre 1939 et le Secrétaire de Mairie, un long
congé de maladie au cours de l'automne 1940 !
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La Route Nationale 156 (aujourd'hui,
Départementale 956) traverse la forêt de Russy et franchit le Beuvron à
Cellettes. Elle fut un axe d'exode, des Blésois en particulier, qui cherchèrent
refuge dans la forêt, et des réfugiés du nord de la Loire, ligne mythique de
salut. Dès le 29 août 1939, 3 jours avant la mobilisation générale, le Conseil
Municipal, dans une "séance d'extrême urgence", étudiait les
conditions d'accueil des réfugiés et constatait qu' "un grand nombre de
personnes étrangères à la commune et à la région
[étaient] arrivées récemment". Les locaux
municipaux, Mairie, cantine, Foyer , furent occupés par des évacués de
Pantin (Seine), l'école de filles accueillant, elle, les nombreux réfugiés de
passage. La commune avait alors estimé à 500 personnes ses capacités d'accueil -plus
de la moitié de sa population. C'était dire
la gravité de la situation. Mais le pire était pourtant à
venir.
Le 6 juin
1940, un Conseil municipal extraordinaire créait
un "comité d'accueil", pour donner "couvert et
nourriture" aux réfugiés fuyant les "régions
envahies". Les élus prenaient conscience de l'ampleur du désastre
en cours et parlaient de "circonstances tragiques".
Les conditions d'une
dépression collective majeure étaient dès lors réunies.
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Archives de la Commune de Cellettes
(la feuille figure dans le registre des
délibérations)
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Guerre ou non, la vie continuait : il avait bien
fallu assurer le fonctionnement de la collectivité. Dans les quelques semaines
pendant lesquelles le cataclysme de la défaite avait jeté sur les routes un
peuple hébété, on doit constater que l'institution municipale ne s'est pas
effondrée. A la tête du régime, les Parlementaires avaient abdiqué -parmi
lesquels 3 députés ou sénateurs du Loir-et-Cher sur les 5 survivants (les
socialistes Kléber Beaugrand et Louis Besnard-Ferron, le sénateur radical Pierre
Pichery) ; à la base, les structures républicaines avaient tenu bon. Un
seul Maire du département est signalé défaillant ("a participé au pillage
d'un magasin durant les journées tragiques de juin"
) -et il faudrait s'assurer que
le reproche est fondé.
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Dès juillet 1940, la
session budgétaire, ordinairement tenue en mai, reprend son cours. Les
délibérations sont certes dominées par les circonstances -accueil de réfugiés,
paiement de lourds travaux d'aménagement pour l'installation d'une Kommandantur
locale, recrutement d'une auxiliaire de Mairie… Mais progressivement, les
préoccupations "ordinaires" ont retrouvé une place.
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Archives de
Cellettes, Délibération du 27 juillet 1940
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En novembre 1940, par
exemple, la Directrice de l'école de filles obtient l'achat d'un guide-chant. En
mars 42, une subvention est rétablie à la Fanfare qui "peut reprendre ses
activités". En septembre 43, décision est prise d'installer le téléphone à
la mairie. En février 44, un contrat de location de la presque neuve salle des
fêtes est passé avec un opérateur de cinéma : ce sera d'une part, note la
délibération, "un revenu intéressant" et d'autre part "un élément
d'attrait pour la population locale". La
location était prévue à partir du 1er juillet 1944
! En novembre, après la Libération, le Conseil, compréhensif, accorde à l'exploitant
de reculer la date initiale au 1er octobre, "considérant les raisons qui ont
empêché l'exploitation"…
Au
fil des délibérations, les circonstances, on le sent, imposent leur rythme;
la Commune doit répondre aux directives du Pouvoir pour gérer les
pénuries, le chômage, l'inflation. Mais rien n'indique que le régime a changé. Au moment où
Pétain appelle à un "ordre nouveau" comme à celui où la Libération rétablit la
République dans un climat de rupture avec le passé, l'institution
municipale fonctionne à la même allure.
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" l'augmentation sans cesse croissante des prix
" (délibération du 19 février
1942)
L'encadrement de la
pénurie impose le recrutement de personnel administratif supplémentaire -les
"employé(e)s auxiliaires" se multiplient à la Préfecture et dans les Mairies. A
Cellettes, une jeune fille est embauchée à temps partiel dès octobre 1940
pour tenir le service des cartes d'alimentation. Cela porte à six le nombre des
employés rémunérés en tout ou partie par la commune, sans compter les
"intérimaires". La loi du 23 mai 1941 leur accorde une augmentation de salaire
de 20 %, d'ailleurs anticipée par les élus municipaux à coups de
"gratifications pour travaux supplémentaires".
Augmentation insuffisante pour couvrir celle, continuelle, des prix : les
salaires sont de nouveau augmentés en 42, puis 43, puis 44.
Il faut encore prendre en charge les frais
de la brève (août 40 à mars 41) mais coûteuse occupation allemande -en
particulier l'aménagement de la Kommandantur locale et la réparation des
"dégâts causés par les troupes d'occupation" (délibération du 27 mai
1941), les dépenses de fonctionnement qui continuent à courir -et même à
galoper-, les dépenses nouvelles entraînées par des décisions gouvernementales,
telles que l'assurance obligatoire pour le Maire et l'Adjoint et le versement à
leur profit d'une indemnité -reversée à leur demande à la Caisse des écoles
publiques, les "secours aux localités victimes de la guerre" à la
demande du Préfet (délibération du 15 avril 1943)... Ajoutées à l'assistance
-telle que l'achat de bois de chauffage au profit des familles de prisonniers ou
la participation aux œuvres de bienfaisance-, ces dépenses font exploser le
budget municipal : de 1939 à 1945, les impôts communaux augmentent de … 178 % !
Et encore puise-t-on largement dans les budgets des chemins…
La
lecture des délibérations municipales ne nous apprend presque rien des récriminations
de la population cellettoise: seule est signalée une pétition de cultivateurs,
en février 41, pour obtenir de l'avoine et des semences. Des employés communaux,
eux, réclament des augmentations de salaire, en particulier la "porteuse de
dépêches", à l'origine de plusieurs délibérations : elle annonce même par deux
fois sa démission et ne reprend son service qu'à ses conditions -une sorte
de "grève" qui, d'ailleurs, lui réussit.
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Archives de
Cellettes: formulaire de demande de "carte
d'alimentation"
La principale préoccupation des Français
pendant l'Occupation est le ravitaillement. La pénurie, accentuée par les
difficultés de circulation, entraîne la création d'une bureaucratie, qui présente
en outre pour le gouvernement de Vichy l'avantage de pouvoir contrôler la population,
en particulier à partir des réquisitions de travailleurs pour l'Allemagne
("relève" ou Service du Travail Obligatoire). La réglementation elle-même
accroît d'ailleurs le "marché noir", au profit d'agriculteurs et de
commerçants.
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permanence de
l'institution...
Si l'on veut une illustration de la permanence de
l'institution municipale d'un régime à l'autre, le dossier du "terrain
scolaire" nous la fournira…
En février
1941, une circulaire préfectorale demande à la commune d'aménager un
"terrain scolaire d'éducation physique, sportive et de jeux" avec promesse de subvention. Cette action d'encadrement de la
jeunesse, objet de la loi du 23 novembre 1940, est assez caractéristique
du volontarisme phraseur et vain de Vichy, version "révolution nationale". Comme
tant d'autres, elle s'enlisera.
Mais à défaut d'occuper la jeunesse, le
terrain scolaire tient une place de choix dans les préoccupations des élus : de
février 1941 à février 1946, au milieu des pires difficultés de ravitaillement
et de chauffage, sans même évoquer les circonstances de la guerre, de
l'Occupation et des répressions, il fait l'objet de 10 délibérations ! Il faut
trouver un terrain, mettre au point son aménagement, prévoir une entente avec
des "associations et établissements du voisinage", bref, mener une
action de temps de paix en temps de guerre, sous occupation ennemie.
En
octobre 42, le bail avec la Compagnie de chemins de fer pour des terrains de
l'ancienne gare est prêt.. En août 43, le devis d'aménagement est au point : il
en coûtera 80 000 F, dont 20 % à la charge de la commune ! En septembre 43,
le dossier est bouclé et l'adjudication est lancée. Remarquons qu'à cette époque, le sort
de la guerre a commencé à basculer et qu'il faut un certain optimisme pour
envisager des dépenses de cet ordre…En 44, le dossier n'avance tout de même
pas… En juin 45, il est transmis avec fierté -comme en témoignent les "Adieux du
Maire"- à la Municipalité issue des élections républicaines d'avril-mai : la
voilà à son tour à la recherche de ce fichu terrain pour l'aménagement duquel la
subvention décidée par le gouvernement de Vichy est toujours d'actualité.
Aucune rupture d'un régime à l'autre. Le
"nouveau gouvernement", ainsi qu'Edouard Barbier désigne l'autorité
issue de la Résistance, est censé prendre en charge les opérations engagées par
l'ancien régime, comme s'il s'agissait d'une simple passation de pouvoir
consécutive à une élection… L'affaire suivra effectivement son cours, avant de
trouver une conclusion l'année suivante, 5 ans après avoir été lancée. Sagement
cependant, la nouvelle municipalité estimera qu'il serait "opportun
d'annuler dans le cadre national des subventions pour des travaux pas
indispensables"…
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En principe abolie par le régime, une certaine vie
politique continue aussi, sous une forme détournée.
Faut-il acquérir le portrait du Maréchal pour, soutient le Pouvoir, venir en
aide aux prisonniers ? Le Conseil s'y résout, mais "tient à faire remarquer
que les habitants de la commune n'ont jamais refusé de s'associer et de
participer à toute demande de secours aux prisonniers de guerre", manière peu déguisée de marquer sa mauvaise
humeur et peut-être aussi qu'il n'est
pas dupe de la finalité propagandiste de l'opération… Quand, en mai 41, après le départ
des Allemands de Cellettes, la Commune doit réparer les "dégâts causés aux
locaux municipaux par les troupes d'occupation", constat d'huissier est
opéré et il est demandé une évaluation préalable des travaux à un architecte,
avec leur prise en charge par "l'administration" : on peut bien entendu
estimer ici que ce coup de colère est dû plus aux dégradations à payer qu'à la
nature ennemie de leurs auteurs ; mais on peut aussi le traduire par : "vous
collaborez avec l'occupant : payez donc pour eux" -les deux attitudes ne s'excluant d'ailleurs pas.
Et quand la droite locale pense le moment
enfin arrivé d'obtenir, après des décennies de vaine demande, que le Conseil
Municipal subventionne l' "école libre", elle se heurte à un refus : au
châtelain de Beauregard, "président de l'école libre", qui invoque une
loi, les élus précisent assez sèchement "qu'il n'appartient pas à la commune
de subventionner l'école privée" et, légalistes, répondent par une autre
loi, puisée dans l'arsenal pléthorique de Vichy. L'affaire en reste là !
Tout se passe comme si les Conseillers
s'étaient fixé une limite. La République abolie, il restait la laïcité, et le
sentiment qu'on n'avait pas tout abdiqué. Les élus restés en place, partagés
entre le respect de l'autorité de l'Etat, incarnée par le Maréchal, et leur
attachement à la République, avaient besoin de montrer aux habitants de la
commune -de se montrer à eux-mêmes ?- qu'ils restaient fidèles à des convictions
anciennes. Le Maréchal, peut-être; les curés, non. En somme, en retrouvant ses
vieilles connivences, en l'occurrence anticléricales, car on se doute que
l'affaire avait dû susciter des commentaires et des échanges, la communauté se
reforgeait des certitudes rassurantes. "L'ordre nouveau" du Maréchal
devait s'accommoder de cela…
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Deux délibérations municipales
A gauche, celle du 27 juillet 1940 met en évidence les réticences des élus devant les exigences allemandes, en même temps que leur impuissance. Il faudra payer -en escomptant un remboursement de l'Etat, comme si, face à l'occupant, une distinction était possible entre autorité communale et autorité de l'Etat.
A droite, la fin de non-recevoir opposée à "l'école libre" est, elle, sans appel. La délibération, datée du 17 septembre 1943, a été rajoutée au registre sur un morceau de feuille quadrillée -procédure étrange qui suggère un oubli ou une volonté d'oubli que les tenants de l'école en question ont peut-être voulu souligner...
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