Avec un fort
taux de réélection des sortants, une faible dispersion des votes qui entraîne
l'élection au premier tour de la quasi totalité du Conseil, et le positionnement
politique prudent de la plupart des élus, on pourrait se hâter de
conclure sur un constat de communauté cellettoise calme, dans laquelle un
consensus émollient règle les actes sans le moindre conflit. Faux, bien sûr : la
modération, en politique locale, n'est pas synonyme de mollesse ! Elle
s'accommode au contraire fort bien des affrontements de personnes ou d'idées. On
s'en tiendra dans ce chapitre aux compétitions électorales
municipales.
De la première (1871) à la
dernière (1935) élection municipale de la IIIème République, les conditions ont
évidemment beaucoup changé. L'environnement politique général, en premier lieu,
dont les échos, même lointains, influaient nécessairement sur le vote local.
Dans ce domaine, si la périodisation classique de la 3ème République ne se
retrouve pas exactement dans l'histoire cellettoise, elle reste une bonne grille
: toujours avec retard, la représentation municipale finit par suivre peu ou
prou les grandes tendances nationales. Les questions économiques et sociales ont
leur part aussi, à condition de ne prendre en compte que l'agriculture pour les
premières et les paysans pour les secondes, Cellettes restant largement à
l'écart, comme la région blésoise d'ailleurs, des soubresauts industriels et des
grands mouvements sociaux. Dans une commune rurale à forte présence viticole,
les aléas météorologiques, les maladies de la vigne et la concurrence des vins
"étrangers" ont eu plus de retentissement que les difficultés des bassins
houillers ou les progrès du mouvement syndical ouvrier...
Les élections municipales constituent un des temps les plus
forts de la communauté villageoise. L'élaboration de la ou des listes de
candidats occupe bien des soirées des notables de hameaux. Même si l'aspiration
très forte à l'union -toujours affichée et sans doute sincère -et le rejet de
toute politisation, quasi unanime quoiqu'un peu hypocrite, dominent les
préoccupations, il n'échappe à personne qu'untel est monarchiste ou, le temps
passant, " modéré ", tel autre, républicain ou radical, etc...
A Cellettes comme ailleurs, ces deux critères sont
constitutifs de l'imaginaire politique français dans lequel l'unanimisme nourrit
constamment les guerres de religions...
Quoi qu'il en soit, l'union et la neutralité politique revendiquées supposent un subtil équilibre dans la liste entre les opinions, sans oublier une représentation convenable des différentes "régions" de la commune, le tout en tenant compte de l'influence acquise par telle ou telle famille. Et quand cet équilibre semble acceptable pour le plus grand nombre, il se trouve encore des sensibilités, des personnalités ou des lieux-dits pour s'estimer oubliés. Alors des noms circulent qu'on retrouve en plus ou moins grand nombre dans les dépouillements puisque le scrutin uninominal autorise tous les "panachages".
Mais quand une tendance se trouve par trop minorée, et que le "climat" politique général est à l'affrontement, alors, naît une autre liste. En 1912, 4 listes (au moins!) circulent, proches en apparence, mais avec la volonté d'éliminer d'une "liste d'union", tel ou tel (ici, Alphonse Carré, radical anti-clérical, d'un côté, Aralde de Bellaing, conservateur clérical, de l'autre) qui déterminera la couleur de la majorité [ADLC - 3 M 1123]
Retenons que les listes proposées aux électeurs ne sont pas
forcément radicalement différentes : les mêmes noms s'y retrouvent , à deux,
trois ou quatre personnes près -celles justement qui feront la différence dans
le Conseil élu. Notons aussi que le vivier de candidats n'est pas grand : 1 élu
pour environ 25 électeurs, cela ne facilite pas la tâche des faiseurs de listes
! D'autant qu'être candidat, surtout lorsqu'il y a affrontement, c'est afficher
ses préférences. Même en laissant de côté la hiérarchie sociale si prégnante
dans un village, ce seul fait élimine déjà un bon tiers de l'électorat en
domestiques, ouvriers agricoles, employés d'artisans, tous étroitement
dépendants de leurs employeurs...
L'examen des feuilles de résultats nous livre, outre le
nom des élus, deux indices qui, conjugués, donnent une bonne idée de l'intensité
de la lutte : le nombre de personnes ayant obtenu un nombre significatif de voix
(fixé ici, un peu arbitrairement, à plus de 10 -environ 3 % des
suffrages exprimés) et le pourcentage moyen de celles-ci. On peut supposer que plus élevés
sont ces deux nombres, plus divisé est l'électorat et plus sévère
l'affrontement.