Elections municipales de:
 
1874 - 1877 - 1881 - 1884 - 1888 - 1892 - 1896 - 1900 - 1904 - 1908  - 1912  - 1919  - 1925 - 1929 - 1935
70 ans de compétitions électorales
Avec un fort taux de réélection des sortants, une faible dispersion des votes qui entraîne l'élection au premier tour de la quasi totalité du Conseil, et le positionnement politique prudent de la plupart des élus, on pourrait se hâter de conclure sur un constat de communauté cellettoise calme, dans laquelle un consensus émollient règle les actes sans le moindre conflit. Faux, bien sûr : la modération, en politique locale, n'est pas synonyme de mollesse ! Elle s'accommode au contraire fort bien des affrontements de personnes ou d'idées. On s'en tiendra dans ce chapitre aux compétitions électorales municipales.
 
De la première (1871) à la dernière (1935) élection municipale de la IIIème République, les conditions ont évidemment beaucoup changé. L'environnement politique général, en premier lieu, dont les échos, même lointains, influaient nécessairement sur le vote local. Dans ce domaine, si la périodisation classique de la 3ème République ne se retrouve pas exactement dans l'histoire cellettoise, elle reste une bonne grille : toujours avec retard, la représentation municipale finit par suivre peu ou prou les grandes tendances nationales. Les questions économiques et sociales ont leur part aussi, à condition de ne prendre en compte que l'agriculture pour les premières et les paysans pour les secondes, Cellettes restant largement à l'écart, comme la région blésoise d'ailleurs, des soubresauts industriels et des grands mouvements sociaux. Dans une commune rurale à forte présence viticole, les aléas météorologiques, les maladies de la vigne et la concurrence des vins "étrangers" ont eu plus de retentissement que les difficultés des bassins houillers ou les progrès du mouvement syndical ouvrier...
 
Les élections municipales constituent un des temps les plus forts de la communauté villageoise. L'élaboration de la ou des listes de candidats occupe bien des soirées des notables de hameaux. Même si l'aspiration très forte à l'union -toujours affichée et sans doute sincère -et le rejet de toute politisation, quasi unanime quoiqu'un peu hypocrite, dominent les préoccupations, il n'échappe à personne qu'untel est monarchiste ou, le temps passant, " modéré ", tel autre, républicain ou radical, etc... A Cellettes comme ailleurs, ces deux critères sont constitutifs de l'imaginaire politique français dans lequel l'unanimisme nourrit constamment les guerres de religions...
 
Quoi qu'il en soit, l'union et la neutralité politique revendiquées supposent un subtil équilibre dans la liste entre les opinions, sans oublier une représentation convenable des différentes "régions" de la commune, le tout en tenant compte de l'influence acquise par telle ou telle famille. Et quand cet équilibre semble acceptable pour le plus grand nombre, il se trouve encore des sensibilités, des personnalités ou des lieux-dits pour s'estimer oubliés. Alors des noms circulent qu'on retrouve en plus ou moins grand nombre dans les dépouillements puisque le scrutin uninominal autorise tous les "panachages".
 
Mais quand une tendance se trouve par trop minorée, et que le "climat" politique général est à l'affrontement, alors, naît une autre liste. En 1912, 4 listes (au moins!) circulent, proches en apparence, mais avec la volonté d'éliminer d'une "liste d'union", tel ou tel (ici, Alphonse Carré, radical anti-clérical, d'un côté, Aralde de Bellaing, conservateur clérical, de l'autre) qui déterminera la couleur de la majorité [ADLC - 3 M 1123]
Retenons que les listes proposées aux électeurs ne sont pas forcément radicalement différentes : les mêmes noms s'y retrouvent , à deux, trois ou quatre personnes près -celles justement qui feront la différence dans le Conseil élu. Notons aussi que le vivier de candidats n'est pas grand : 1 élu pour environ 25 électeurs, cela ne facilite pas la tâche des faiseurs de listes ! D'autant qu'être candidat, surtout lorsqu'il y a affrontement, c'est afficher ses préférences. Même en laissant de côté la hiérarchie sociale si prégnante dans un village, ce seul fait élimine déjà un bon tiers de l'électorat en domestiques, ouvriers agricoles, employés d'artisans, tous étroitement dépendants de leurs employeurs...
 
L'examen des feuilles de résultats nous livre, outre le nom des élus, deux indices qui, conjugués, donnent une bonne idée de l'intensité de la lutte : le nombre de personnes ayant obtenu un nombre significatif de voix (fixé ici, un peu arbitrairement, à plus de 10 -environ 3 % des suffrages exprimés) et le pourcentage moyen de celles-ci. On peut supposer que plus élevés sont ces deux nombres, plus divisé est l'électorat et plus sévère l'affrontement.
 
Elections de :

Elections de :

1874

1877

1881

1884

1888

1892

1896

1900

1904

1908

1912

1919

1925

1929

1935

Nombre d’hommes

ayant obtenu des voix hors liste

2

11

13

8

8

2

20

8

11

12

12

11

19

8

13

% moyen de voix obtenues

27%

26 %

30 %

33 %

17 %

 6 %

23 %

34 %

32 %

41 %

41 %

30 %

29 %

28 %

38 %

 

 
Si ces critères ont quelque pertinence, le tableau ci-dessus permet de distinguer les périodes chaudes de la vie municipale : l'implantation de la République jusqu'en 1884, l'anti-cléricalisme et la victoire radicale entre 1900 et 1912, la crise des années 30 et la montée de la gauche en 1935.
 
Les campagnes se mènent à coups d'affiches et de circulaires imprimées, pour un bon nombre anonymes, qu'il conviendra d'étudier plus tard. Chaque camp utilise à peu près les mêmes armes et proteste avec le même ton de vertu outragée contre celles de l'adversaire. Mais dans une communauté aussi étroite que la cellettoise, l'anonymat est plus une convention qu'une réalité. Chacun sait, bien sûr, à quoi s'en tenir sur les auteurs et les financeurs des affiches et des "circulaires". L'anonymat permet seulement de s'injurier sans risques. Dans une communauté rétive aux débats ouverts, vite assimilés à des joutes partisanes, cette guerre de papier est une sorte de jeu à somme nulle, dans lequel les dénonciateurs et les dénoncés peuvent impunément utiliser des termes que les convenances républicaines - et la justice ! - interdisent, une soupape verbale qui évacue le trop-plein de violence. Mais, c'est aussi, paradoxalement,  de la part de tous, la reconnaissance de la primauté du suffrage universel dans la résolution des conflits.
 
Il convient donc d'observer attentivement ce qui subsiste des péripéties électorales : comptes-rendus de dépouillement et, à partir de 1908, affiches et circulaires. (ADLC-3 M 802, 1110 ,1151 et suivants)

Prudence, bien entendu, tant, dans les suffrages obtenus, l'appréciation de la personne peut l'emporter sur celle de ses opinions - à supposer qu'elles soient parfaitement connues. Si un Philippe Lévêque, châtelain d'Ornay, obtient régulièrement, de 1871 à 1881, des scores triomphaux (de 90 à 94 % des suffrages exprimés), il les doit sans doute plus à ses qualités humaines qu'à un engagement partisan.
 
On vérifie aussi aisément que les élus exerçant une responsabilité sont plus sanctionnés que s'ils restent dans l'anonymat. Le destin électoral d'
Alphonse Carré , ce courtier en vins anti-clérical qui devait, il est vrai, avoir un riche tempérament, illustre les risques et les succès de l'engagement ouvert :

- élu à la faveur d'une élection partielle en 1889 après plusieurs essais infructueux,
- réélu en 1892, en 10ème position,
- puis battu en 1896,
- élu de nouveau en 1900, en 6ème position, désigné adjoint,
- battu encore en 1904,
- élu en 1908 en 12ème position,
- réélu enfin en 1912 où il devient Maire, jusqu'à sa mort en 1915 ! 

Ajoutons que deux fois seulement (en 1888 et en 1929) un Maire sortant est arrivé en tête du scrutin. Rappelons enfin que, bien que communales, ces élections ne sont pas à détacher du contexte politique national, les années 1870 par le combat entre monarchistes de tous bords et républicains, les années 80 et 90 par la montée du radicalisme, l'épisode boulangiste, la constitution d'une droite républicaine, le tournant du siècle par les retombées de l'Affaire Dreyfus, l'affrontement cléricaux-anti-cléricaux et ses répercussions scolaires - le tout pour n'évoquer que l'avant-Grande Guerre.
 
Il faut aussi garder à l'esprit les contextes démographiques, économiques et sociaux : les fluctuations et crises des revenus agricoles mettent à mal l'économie rurale, en particulier la viticulture si présente à Cellettes, et l'après-Guerre 14 est marquée par la réalité de l'exode rural amorcé plus tôt. Il est évidemment difficile de peser avec exactitude l'influence de ces contextes sur les scrutins cellettois mais il faut garder en tête qu'elle a compté

 

Chaque procès-verbal d'élection enregistre le nombre de voix distribuées par personne. Ainsi peut-on se faire une idée des compétitions, même en l'absence de toute autre trace.
1874

En 1874 , le maire, Eusèbe de Bellaing signale à la Préfecture, sur l'imprimé prévu à cet effet, que les 12 élus appartiennent tous à la liste municipale. Mais ce n'est sûrement pas le résultat d'un vote fantaisiste que celui obtenu par deux "battus", Joseph Augé et Joseph Marchant , le premier tonnelier, le second, vigneron, qui obtiennent respectivement 77 et 67 voix, soit plus du quart des suffrages exprimés.

On peut donc supposer que l'un et l'autre avaient, ouvertement ou non, fait acte de candidature, indépendamment de la "liste municipale", voire contre elle. Ambitions personnelles ou manifestation d'opposition ?
1877 - 1881

 
En 1877 , ils sont une dizaine à obtenir un nombre de voix significatif (de 10 à 38 % des exprimés). Alors, candidats officiels ou officieux ?
 
En 1881 , la situation se répète avec une bonne dizaine encore de résultats appréciables (de 12 à 46 %). Parmi ces dix, on retrouve cinq des "battus" de 1877, avec des scores en nette progression (par exemple, Joseph Augé de 97 à 118 voix, Clovis Rué, de 69 à 103). Beaucoup de ces "candidats" étant artisans  (5 en 1877, 8 en 1881), quand les élus, eux, appartiennent à la catégorie des propriétaires ou des vignerons, on est bien sûr tenté de voir dans leur groupe une liste d'opposition républicaine à celle du Maire, issu, on l'a vu, de l'époque napoléonienne et appuyé par les paysans non encore totalement acquis à la République.
 
 
 
1884

La situation semble moins tendue en 1884 : le 10ème non élu n'obtient que moins de 4 % des voix, alors qu'au même rang, le charcutier Charles Choquet allait jusque 19 % en 1881. Il faut dire que le triomphe républicain diminue les enjeux : députés et sénateurs, en adoptant des lois qui transforment en profondeur la vie locale ont rendu caducs bien des débats locaux (gratuité, obligation et laïcité scolaires, laïcisation des Bureaux de Bienfaisance et des cimetières, fin du rôle des électeurs les plus imposés, pour ne citer que les plus spectaculaires ).

 

1888

En 1888 , l'affrontement semble minimal : les 12 Conseillers sont élus dès le 1er tour.
 
Est-ce l'âge (65 ans) ou plus encore le mauvais état de santé du Maire, Eusèbe de Bellaing, qui calme les antagonismes ? En tout cas, ce dernier, pour la seule fois de sa carrière électorale, arrive en tête du scrutin et recueille ensuite 11 voix sur 12 à l'élection du Maire  Cinq "candidats" seulement, en dehors des élus, dépassent 10 % des suffrages exprimés. 
 
Ce Conseil élu si aisément n'en connaît pas moins un mandat tourmenté. Il lui faut d'abord remplacer son Maire puisqu'en juillet 1889, Eusèbe de Bellaing meurt. Opération aisée : l'adjoint, Pierre Baudoin, obtient 9 voix sur 12. Puis, après le décès de son remplaçant, Joseph Augé, en décembre de la même année, et une seconde élection partielle qui envoie au Conseil le radical proclamé Alphonse Carré, il faut désigner un nouvel adjoint. Et cette dernière opération se montre particulièrement révélatrice des nouveaux rapports de force.
 
S'affrontent Louis Daridan et Bernard Bauchard , tous deux héritiers de vieilles familles vigneronnes, tous deux ayant succédé à leur père au Conseil Municipal, et tous deux Conseillers depuis 1870. Le premier est républicain, sans doute d'ancienne souche, à la mode opportuniste ; le second, républicain aussi, mais "rallié", c'est à dire de plus fraîche date, ancien monarchiste modéré et catholique convaincu. Bref, s'affrontent ici une sorte de gauche et une sorte de droite républicaines - si l'on peut se permettre cet anachronisme - en même temps que deux hommes bien connus de leurs contemporains.
 
De Louis Daridan, les archives ne disent rien; de Bernard Bauchard, on n'a que l'avis de Jules Brisson (voir plus haut) : c'est un "parfait honnête homme" mais il est insignifiant ("incapable d'aucune initiative particulière, il ne possède aucune influence sur les électeurs de sa commune") et le Maire "le gouverne à sa guise" ! Pour le dire autrement, c'est le candidat du nouveau Maire, Pierre Baudoin. Il faudra néanmoins à celui-ci trois tours de scrutin pour  le faire élire. Aux deux premiers tours, il n'obtient que 6 voix, ce qui donne l' image exacte de forces en présence égales. Au 3ème tour enfin, il obtient la majorité absolue, Louis Daridan conservant les 5 voix acquises dès le début.
 
Ainsi, l'élection d'une liste d'union, d'apparence tranquille, dissimulait l'âpreté des rapports politiques.
 
1892

L'élection de 1892 semble la plus calme de la série. Les résultats des non-élus ne révèlent aucune opposition (le plus favorisé n'obtient que 18 voix sur 282 suffrages exprimés !), la dispersion de l'électorat est presque nulle et un seul tour suffit pour choisir les 12 Conseillers.
 
Confirmation d'une unité communale, Pierre Baudoin obtient 11 voix sur 12 à l'élection du Maire. Tout se passe comme si une seule liste d'union s'était présentée devant les électeurs, avec engagement préalable sur l'identité du futur Maire. Autre chose est la désignation de l'adjoint. Il faut de nouveau trois tours de scrutin à Bernard Bauchard pour se faire élire (4 voix au 1er tour, 6 au deuxième, 8 au 3ème !). Le même ne devra qu'à son âge de devancer Alphonse Carré lors de la si importante élection des délégués sénatoriaux, et encore ne le fera-t-il qu'au 3ème tour !
 
On peut évidemment penser, en se référant au jugement de Jules Brisson, que la supposée "insignifiance" de l'intéressé lui valait ses difficultés à s'imposer parmi ses pairs. Il ne faut, c'est vrai, jamais sous-estimer le rôle des personnalités. Dans le cas qui nous occupe, ce pourrait bien être secondaire : la qualité de "rallié" est probablement la cause première de ces demi-échecs. Elus ensemble pour gérer la Commune, les Conseillers se sont divisés au moment des votes spécifiquement politiques : outre Bernard Bauchard, Alphonse Carré et Pierre Baudoin (désigné délégué sénatorial haut la main au 1er tour), ils sont 5 à se disputer les voix de leurs pairs ! 8 candidats pour 12 électeurs, on peut difficilement faire mieux...
 
 Quand, en 1894, la mort de Bernard Bauchard entraîne l'élection d'un nouvel adjoint, il faut encore deux tours pour désigner Louis Daridan avec 7 voix sur 11. On devine -faute de sources permettant de la connaître - une certaine âpreté dans ces affrontements dont on doit prudemment se demander si elle résulte d'oppositions politiques ou de querelles de personnes, de hameaux ou de familles
 
 
1896
 

1896 renoue avec une compétition absente en 1892. Outre les 10 élus du 1er tour, 22 hommes obtiennent un nombre significatif de voix, de 6 % pour l'ouvrier maçon Alphonse Chevalier, à 46 % pour le châtelain de la Boissière, le très réactionnaire vicomte de la Salle. La moitié sont cultivateurs ou vignerons et, pour la première fois, figurent sur la feuille de résultats des noms d'hommes appartenant au milieu populaire : outre Alphonse Chevalier , Lucien Brazeau, un journalier agricole, obtient près de 9 % des voix. Qu'ils aient ou non été candidats importe peu : le seul fait qu'ils aient recueilli des voix indique la force montante de l'idée républicaine quant à l'égalité civique.
 
Deux Conseillers sortants ont été battus : Alphonse Carré et Alexandre Bourbon, tous deux représentants du bourg, non-paysans et radicaux. Ils sont remplacés au scrutin de ballottage par un rentier de 64 ans, Joseph Hay, et par Adolphe de la Salle, vainqueur ici dans un suffrage universel que sa famille politique avait tant combattu ...

Dans le nouveau Conseil, figurent deux personnalités du catholicisme monarchique, Alphonse de Perrinelle, châtelain des Rosiers et président de la Fabrique - conseil chargé depuis le 1er Empire de gérer la paroisse - et Maurice Bégé, jeune châtelain de Maison-Vert et royaliste militant. L'assiduité de ces nouveaux élus laisse d'ailleurs à désirer : au cours des quatre années du mandat, Adolphe de la Salle est absent une fois sur deux et Maurice Bégé, une sur trois ! Présence plus symbolique donc que réel désir de s'impliquer dans la vie locale. A moins que l'objectif ait été d'affirmer une autorité, de marquer, en quelque sorte, leur territoire, et, au moment où monte l'anti-cléricalisme, d'entrer dans un ultime combat anti-républicain...  
 
On aura compris que les radicaux ont dû digérer leur défaite.
 
Les trois élections suivantes, 1900, 1904, 1908,  ont probablement été des moments forts de la vie communale si l'on se fie à la participation électorale en nette hausse. De 81 % en 1896, on passe à 84 % en 1900, 86 % en 1904, 90 % en 1908.
 
Derrière ces votes massifs, on devine une intense campagne électorale, un "climat" politique orageux. C'est, il est vrai, l'époque des durs débats sur la place de l'Eglise dans la société, avec comme point final, la Séparation de 1905. On a vu ailleurs qu'aux législatives de 1902,  l'électorat cellettois avait nettement opté contre le radical-socialiste Eusèbe Gauvin, au profit du républicain de droite et Maire de Blois, Jules Brisson, vite qualifié par ses adversaires de "clérical". L'élection législative de 1906 nous a servi de base pour apprécier le poids de la droite peu ou pas républicaine à Cellettes (35 %). Le contexte politique appelait sans doute des choix contrastés qui ne pouvaient pas ne pas influencer la vie municipale.
 
1900

Y eut-il deux listes opposées en 1900 et en 1904 ? Ou plusieurs listes à peine différentes ont-elles circulé avec des candidats communs - les plus consensuels - et des candidats spécifiques à chaque camp ?
 
En tout cas, en 1900, le résultat, acquis dès le premier tour, est équilibré, avec un léger avantage aux républicains radicaux puisque Alphonse Carré est élu adjoint de l'inamovible Pierre Baudoin (6 voix au 1er tour, 7 au second). On retrouvera cet équilibre dans un autre chapitre, lors des votes consacrés à l'Ecole de filles.
 
Le nombre de voix obtenues par les non élus témoigne de la vigueur des opinions : de 29 % pour Augustin de Chevigné, châtelain de Lutaine, à 46 % pour le tonnelier, probablement radical, Georges Besnard. Joseph Hay et Adolphe de la Salle, Conseillers sortants, sont battus sans qu'on sache s'ils étaient vraiment candidats. Le Conseil issu de ce scrutin partagé va avoir, comme on le verra, un mandat agité par la question scolaire -et riche de réalisations, puisque la nouvelle Mairie et l'école de filles y seront décidées.
1904 - 1908
 
Une affichette non datée mais presque sûrement de 1908, la première de ce genre pour Cellettes dans les archives publiques, fournit une des clés pour ce qui concerne le Conseil élu en 1904. Un "Groupe d'électeurs" y soutient qu'aux élections précédentes - celles de 1904 - un "malentendu" avait provoqué la perte de "deux conseillers qui défendaient les intérêts de la commune et les droits de la liberté", formule convenue pour désigner les républicains non ou anti-cléricaux. Et l'affiche de déplorer l'entrée au Conseil de "deux réactionnaires qui ont entraîné [ sa] majorité au Cléricalisme et à la Monarchie."
 
Si l'on peut hésiter sur l'identité des deux républicains radicaux battus entre les quatre conseillers sortants non réélus, avec une nette préférence pour Alphonse Carré et Léon Boucher, peu de doutes en revanche pour les deux "réactionnaires", Jacques Geoffroy d'Assy et Maurice Bégé, propriétaires, le premier de Bousseuil, le second, de Maison-Vert. L'élection de Jacques d'Assy au poste d'adjoint avec 8 voix confirme donc le constat dressé 4 ans plus tard par ses adversaires : il y a bien eu renversement de majorité.
 
Redisons ici, pour ne plus y revenir, que cela n'implique pas de bouleversements dans la gestion municipale ! Même observées à la loupe,  les délibérations ordinaires du Conseil ne sont guère marquées par ces conflits idéologiques et, question scolaire mise à part, la République radicale peut sans difficultés, par préfet interposé, faire appliquer ses lois par des élus "réactionnaires" !
 
Quant au "malentendu", on n'en saura rien de plus ; sans doute le mot cachait-il, par euphémisme, de solides inimitiés, traduites dans les votes par quelques défections, qui avaient coûté son élection à Léon Boucher, par exemple (158 voix au 1er tour pour une majorité absolue de 159 ! mais seulement 148 voix au second).
 
Une seconde affiche de 1908, datée et signée, elle, témoigne de la vigueur des affrontements et de la dureté des moeurs électorales. Alphonse Carré et Auguste Gasselin, les signataires radicaux, y dénoncent une "circulaire immonde", destinée à les "salir" et à les "diffamer". Circulaire anonyme bien entendu !
 
Au total, si le radicalisme modéré continue sa lente conquête de l'électorat cellettois, il s'en faut encore de quelques conseillers que la "gauche" ne devienne franchement majoritaire.
 

 
 On s'en rend bien compte trois ans plus tard, en 1911, à la mort de Pierre Baudoin. Il faut alors, dans une partielle, compléter le Conseil pour désigner un nouveau maire. Est-ce à son nom ou à un positionnement politique conservateur (réactionnaire diront ses adversaires radicaux) qu'Aralde de Bellaing doit son élection, d'abord au premier tour, de justesse (51 % des suffrages exprimés), comme Conseiller Municipal , puis comme Maire avec 7 voix sur 11 votants (Louis Daridan, impotent, ne siège plus) ? Colonel en retraite de son état -il fut blessé lors des combats contre les Communards- et fils de l'ancien Maire bonapartiste, Eusèbe de Bellaing, suffisamment estimé pour être constamment réélu jusqu'à sa mort, le nouveau magistrat bénéficie de la même majorité que Pierre Baudoin, et il ne peut plus être question ici de poids personnel ou familial : son élection témoigne que le radicalisme républicain ne s'est pas encore complètement imposé à Cellettes.
 
 
 

Les élections
de 1912
 
 
 
 

Les archives publiques (ADLC-3 M 1123) nous offrent -enfin ! - l'occasion de suivre d'un peu plus près les élections de 1912 où s'opère le basculement droite-gauche.
 
Libérés du poids de l'autorité de Pierre Baudoin, et servis par la maladresse de son bref successeur, les radicaux , déterminés comme Alphonse Carré ou beaucoup plus modérés comme Philippe Merveille, prennent en charge pleinement la commune.
Aralde de Bellaing, sans doute trop assuré de sa légitimité et, partant, de son autorité, au double titre de sa filiation et de sa carrière militaire, multiplie en effet les erreurs de jugement. Le voilà imposant contre la majorité de son Conseil l'éclairage électrique du bourg, puis protégeant un garde-champêtre rejeté par tous, puis suspecté de gaspiller l'argent du contribuable au profit de ses amis, enfin, et contrairement à son prédécesseur, distant et assez peu présent à la Mairie ! 
 
Cette avalanche de critiques lui est faite par une circulaire -anonyme... - d'un "groupe d'électeurs" qui résument leurs griefs anti-de Bellaing  en trois reproches : il endette la commune, il entasse les bêtises et il accumule les haines ! Il faudra vérifier si le premier de ces reproches est plus polémique que justifié. Les deux autres montrent à tout le moins que "l'colon" (sic !) ne suscite guère de respect.
 
Mais c'est une affiche signée de deux élus sortants qui exprime sans doute l'erreur la plus dommageable pour lui : il a constitué une liste de conseillers sortants dont il a éliminé les deux radicaux les plus déterminés, Alphonse Carré et Charles Loquineau. Les auteurs de l'affiche sont deux hommes d'influence : Charles Bruneau, second meunier de la commune, et Philippe Merveille, vice-président du Bureau de Bienfaisance et commandant de  la compagnie de pompiers. L'un et l'autre se situent parmi les républicains modérés, plutôt dans les "républicains de gauche", c'est à dire au centre de l'échelle politique. D'ailleurs, tous deux reconnaissent qu'ils auraient "donné leur consentement à une liste municipale portant tous les conseillers sortants", ce qui sous-entend que le colonel de Bellaing serait resté maire.
 
Mais voilà, lui reprochent-ils vivement, ce dernier a politisé sa liste en en rejetant les deux anti-cléricaux déclarés -qui se seraient d'ailleurs peut-être refusés eux-mêmes à y figurer ! Bref, le colonel s'est montré partisan et piètre tacticien : en affichant ouvertement son appartenance à un camp, il a refusé l'amalgame entre modérés des deux bords que réussissait à peu près son prédécesseur Pierre Baudoin, et a donc fait basculer chez les radicaux  des Conseillers naguère moins sensibles à leur discours militant.
l'affiche signée Bruneau-Merveille qui annonce leur rupture avec le Maire sortant
Il faut ici citer entièrement la déclaration qui accompagne la publication de la liste constituée en opposition à celle du Maire sortant, à une seule exception près, Adolphe Ruet, présent sur les deux :

"Désignés par le Comité d'Union Républicaine et choisis dans toutes les régions de la commune, nous venons solliciter vos suffrages.
Nous sommes, vous le savez, partisans d'un régime d'ordre et de liberté; nous voulons que la République assure à tous les travailleurs la paix, la sécurité, un peu de bonheur et le repos dans les vieux jours. 
Nous désirons surtout la prospérité de notre commune et l'union complète  entre ses habitants. Les opinions politiques et religieuses ne doivent pas nous entraîner dans des  luttes nuisibles aux commerçants et aux ouvriers.
Si vous nous accordez vos suffrages, nous ne serons pas les serviteurs d'un parti ou d'une coterie ; nous nous occuperons sérieusement de toutes les affaires justes et nous défendrons les intérêts de tous.
Vive la République !"

    Ce texte représente à merveille l'état de l'opinion des paysans cellettois, petits propriétaires pour le plus grand nombre et fiers de l'être devenus, politiquement installés autour des notions, distinguées d'ailleurs par eux-mêmes : l'ordre, la liberté, l'union, le travail, le sérieux, c'est à dire tout ce que le radicalisme républicain leur garantit, avec même le supplément d'âme "d'un peu de bonheur". L'incertitude de l'aventure est désormais du côté des conservateurs et des "réactionnaires", accusés de diviser , péché majeur dans une société rurale qui aspire au calme de l'union et à la paix sociale.

Au nombre de listes qui circulent et au ton des circulaires anonymes, on devine l'ardeur de la campagne électorale. Celle-ci, à vrai dire, est surtout animée par les républicains radicaux si l'on se fie aux archives : les deux "circulaires" (on ne dit pas encore tracts) qui y figurent s'en prennent durement au Maire sortant, jugé cassant et lointain, et à ses amis. Sur les 4 listes qui circulent, les noms des candidats de gauche, ou perçus comme tels, reviennent le plus souvent.
 
En tout cas, dynamisme de campagne ou irrésistible air du temps, la liste du Maire est écrasée : ses adversaires emportent 8 sièges au premier tour contre 3 (et encore, l'un des trois, Adolphe Ruet, figure sur les deux listes) et le 9ème au scrutin de ballottage. Le triomphe des radicaux anti-cléricaux porte à la mairie le plus déterminé d'entre eux: Alphonse Carré est élu Maire par 9 voix sur 12. Avec Philippe Merveille, Charles Bruneau avait déterminé les votes modérés opposés au Maire sortant: le voilà adjoint.
 
Si l'on ajoute que le Conseil élu le 12 mai 1912 est l'un des plus jeunes de la IIIème République pour Cellettes et que cinq des 9 majoritaires sont de nouveaux élus, on comprend que le désir de changement a dû aussi jouer son rôle dans ce petit bouleversement politique local.  L'un des reproches, d'ailleurs en partie infondé, qui figurent dans la circulaire anonyme intitulée "Plainte des patentés" portait d'ailleurs sur l'immobilisme de la municipalité sortante : "Cellettes est un beau pays mais c'est un pays mort !", affirmait ce "groupe de commerçants et d'ouvriers". Enfin, on observe une véritable rupture, politique certes, mais plus encore  symbolique entre les "châtelains", représentés par le Maire sortant (qui, pourtant, ne l'est plus), et une majorité de la communauté cellettoise. Dans cette affaire, les notables conservateurs, "châtelains" ou non, n'ont pas seulement perdu une élection, ils ont été dépouillés de leur vieille légitimité à gérer les affaires communales.
 
 
Une nouvelle majorité, de nouveaux élus, un nouveau Maire et un nouvel Adjoint : on examinera plus loin si ces nouveautés ont répondu aux voeux des "patentés" mais on sait que l'Histoire s'apprêtait à fixer d'autres rendez-vous autrement plus graves. 
 
Comble d'infortune, la commune allait devoir traverser presque toute la période de guerre sans Maire  après le décès en 1915 d'Alphonse Carré et l'impossibilité de le remplacer - pas d'élections en temps de guerre ! L'adjoint Charles Bruneau fit donc "fonction de Maire" jusqu'en 1919 dans un Conseil amputé de trois et même, un temps, quatre élus mobilisés. Mais son âge (68 ans en 1915) et son éloignement du bourg (il habitait la Varenne, à quelques kilomètres) ne lui facilitaient évidemment pas la tâche, d'autant que le Préfet refusa une double délégation de signature à Aralde de Bellaing et à Edmond Poirier. Majorité "républicaine" oblige, ce fut le second, seul habitant au bourg de son camp, qui hérita de la délégation, bien que sans expérience.
 
Au sortir de l'épreuve, c'est une commune durement touchée par les jeunes morts de la Grande Guerre et par les effets désormais bien visibles de l'exode rural qui a dû affronter les difficultés nouvelles. Nous y reviendrons dans un chapitre ultérieur. L'union est bien sûr plus que jamais à l'ordre du jour.
 
1919
 
Aux élections de 1919, les sortants des deux bords, si opposés en 1912,  adoptent  le statu quo : ils se représenteront ensemble et pour combler les vides, on tiendra à peu près compte des rapports de force ratifiés par le suffrage universel en 1912. Avec le conservateur-libéral Léon Doublier, deux républicains radicaux complèteront la liste "d'Union municipale": Louis Tillier, propriétaire de Beauregard, et Chantal Blanchet, cultivateur au bourg.
 
Mais la guerre n'a pas calmé les antagonismes politiques et une partie des conservateurs acceptent mal de ne pas se mesurer aux radicaux après la victoire des leurs - le Bloc National - aux élections législatives -mais alors, notons-le, que les électeurs cellettois ont, eux, nettement moins voté à droite (32 % pour les conservateurs). Peut-être plus encore refusent-ils de devoir ratifier la future désignation de Louis Tillier comme Maire et tentent-ils de reconstituer l'union des modérés et des conservateurs qui avait assuré la permanence à la Mairie de Pierre Beaudoin ?
 
Toujours est-il qu'une liste est diffusée, qui regroupe, outre sept des conseillers sortants et Léon Doublier, quatre autres candidats, conservateurs plus ou moins modérés : Marc Beaudoin, fils de l'ancien Maire et lui-même ancien instituteur et secrétaire de Mairie, Joseph Foulon, cultivateur, et Charles Paget, boucher au bourg, ces deux derniers déjà candidats en 1912 sur la liste conservatrice, enfin Joseph Landru (que les nécessités de l'histoire amèneront à modifier son patronyme en Landry!), châtelain. Une telle liste, si elle était élue, choisirait à coup sûr Aralde de Bellaing comme Maire et Jacques d'Assy comme adjoint, retour en somme à la situation d'avant 1912.
 
Gage de bonne volonté ? les 4 ou 5 radicaux ou assimilés (où classer Adolphe Ruet ?) dont les noms figurent sur cette liste - habilement intitulée "Union républicaine" - se contentent de protester "énergiquement" contre l'emploi de leur nom et "les attaques injustifiées" d'une circulaire anonyme, et de s'affirmer "solidaires" de leurs co-listiers de l'union municipale. Il y a fort à parier que les candidats "attaqués" dans la circulaire étaient Louis Tillier, Charles Bruneau et Edmond Poirier , qui avaient joué le premier rôle pendant la Grande Guerre, les deux derniers faisant fonction de Maire et d'Adjoint, le premier, en animant -et finançant en partie - l'hôpital temporaire installé dans son château de Beauregard.
 
Mais en définitive, les trois conservateurs avoués, Aralde de Bellaing, Jacques d'Assy et Léon Doublier (qui revendiquent eux-mêmes l'étiquette: "modéré") préférèrent se faire élire avec l' "Union municipale", à majorité radicale. Sagesse de leur part !  Avec 11 élus au premier tour et le 12ème au second , la liste municipale écrasa sa concurrente qui ne recueillit que 38 % des voix pour le mieux placé (Marc Beaudouin ) et moins de 35 % pour les autres. La Guerre n'avait donc eu à Cellettes aucune conséquence électorale, tant le scrutin de 1912 avait solidement fixé le rapport de force en faveur des radicaux modérés.
 
 
1925
 
Les élections de 1925 illustrent jusqu'à la caricature l'absence de concordance entre le vote, largement inspiré par des considérations politiques, et la gestion de la commune qui fait le plus souvent l'unanimité des conseillers, toutes opinions confondues.
 
Si l'on excepte en effet la question scolaire, rituel objet d'un vote chaque mois de mai à la demande d'Aralde de Bellaing, et, peut-être, la vente du presbytère le 9 novembre 1923, rien ne divise le Conseil, en tout cas sur des bases idéologiques. D'ailleurs, après avoir posé la question du partage de la subvention à la Caisse des Ecoles entre public et privé, et s'être vu opposé, chaque année, un vote négatif de 9 (8 après le décès d'Adolphe Ruet) voix contre 3, le colonel et ses deux co-listiers conservateurs approuvent le budget et les impositions qui vont avec. A plusieurs reprises, avec les autres Conseillers, ils félicitent le Maire pour son dévouement et son excellente gestion et c'est même Jacques d'Assy qui, en mai 1922, prononce le compliment au nom du Conseil.
 
Le Maire n'est d'ailleurs pas en reste de concorde puisqu'il confie des "missions d'étude" à ses supposés adversaires, Léon Doublier sur le cimetière et Aralde de Bellaing sur l'électrification, et couvre d'éloges leurs rapports. S'il y a bien, de temps à autre, des discussions sans doute vives sur lesquelles nous reviendrons dans un autre chapitre - mais dans ce cas, elles n'opposent pas spécifiquement conservateurs et radicaux -, le consensus est acquis pour la plupart des sujets, qu'ils soient locaux, comme la conduite à tenir face aux conséquences de l'accident mortel du 14 juillet 1919, ou plus généraux, comme la condamnation indignée de la loi des 8 heures (de travail par jour), "dont l'application paralyse toutes les industries", affirme une délibération unanime du 27 avril 1921.
 
Bref, le climat est à l'entente et tout naturellement, le Conseil sortant, radicaux et conservateurs confondus, annonce par affiche aux "électeurs de Cellettes" qu'il se représente devant eux, fier de son bilan et fermement convaincu qu'il "faut réaliser l'union des bons citoyens pour opposer l'ordre au désordre et la paix sociale aux luttes stériles". On est ici dans le traditionnel compromis entre modérés, d'ailleurs rejeté par ce qui reste des anti-cléricaux viscéraux, représentés avant la Guerre par Alphonse Carré et en 1925 par son fils, Urbain. L'affiche de candidature publiée par ce dernier dénonce la "politique de sacristie" du Maire sortant et celle "d'équilibre à la mode à l'heure actuelle qui conduira à la ruine de la République". Une telle position, déjà datée, ne pouvait valoir de succès à son défenseur mais mobilisait encore une cinquantaine d'électeurs, soit 20 % des suffrages exprimés.
 
Mais le clivage principal n'était plus celui-là. Si la belle unanimité affichée par le Conseil sortant n'a pas tenu, c'est en raison du climat d'affrontement qui règne alors dans le pays. L'année précédente, les élections législatives ont vu la victoire du "Bloc ou cartel) des gauches" (radicaux et socialistes) sur le "Bloc National" (ensemble des droites et centre-droit), moins d'ailleurs en nombre de voix que grâce au système électoral en vigueur, le scrutin de liste départemental. Ce dernier fait attise la rancœur des perdants et affaiblit la légitimité des vainqueurs, d'autant qu'une partie d'entre eux, les radicaux les plus modérés, partage les préventions de la droite sur le socialisme "collectiviste".  Les graves difficultés financières  (le "mur de l'argent") rencontrées par le gouvernement Herriot et sa chute en avril 1925 à la veille de la campagne municipale exacerbe les oppositions.
 
Alors, sans doute pressés par leurs amis, et en dépit du score médiocre réalisé à Cellettes un an plus tôt par les deux listes de droite (41 %  contre 48 % à la gauche), les trois conseillers sortants conservateurs franchissent le pas qu'ils n'avaient pas voulu faire en 1919 : ils se séparent de la liste à laquelle ils avaient donné leur accord et en constituent une autre, justifiant leur rupture tardive par l'autoritarisme du Maire sortant, qu'ils accusent en outre de dépenses "somptuaires".
 
L'affrontement s'accompagne, comme il se doit, de circulaires anonymes qui ne nous sont pas parvenues par les archives publiques mais dont quelques exemplaires doivent dormir dans des greniers. Nous n'en savons donc que ce qu'en disent les attaqués. D'un côté les radicaux "cartellistes" (adjectif formé sur Cartel [des Gauches] ), comme les désignent leurs adversaires de droite, dénoncent "une malpropre campagne de diffamations, de mensonges impudents et de calomnie honteuse", allant, circonstance aggravante, jusqu'aux femmes ! De l'autre, Henri Chapuy, le (riche) meunier du bourg,   ancien conseiller municipal et délégué cantonal de la Fédération Républicaine, alors présidée par le très droitier Robert  Barillet, député de Vendôme, accuse le Maire de faire distribuer un "papelard" non signé, contenant un "amas de stupidités".
 
Le climat est si tendu qu'on s'échange injures et moqueries non seulement anonymement, comme d'ordinaire, mais encore à visage découvert : la liste du Maire parle de "MM. D'Assy, de Bellaing et d'Oublier" et de leur "répugnante infamie"; Henri Chapuy affirme "mépriser un Monsieur [le Maire] et sa suite de polichinelles" qui ne sont que des "froussards anonymes". Il ne s'agit plus là de combats électoraux un peu rudes dans lesquels le langage outré se substitue d'un commun accord tacite, démocratiquement en quelque sorte, aux violences physiques, mais qui, l'échéance passée, se résolvent en collaboration courtoise le temps d'un mandat. Il s'agit de haine pure et simple, laquelle interdit tout rapprochement ultérieur.
 
Quand, en 1926, Louis Tillier démissionne de sa fonction de Maire parce qu'il quitte Cellettes, "Le Petit Loir-et-Cher", le journal de Robert Barillet, salue, avec une lourde ironie, le "départ de M. Dumollet, châtelain de Mauvais-Œil" et conclut : "Ni fleurs ni couronnes"... De tels sentiments, à l'échelle d'une petite commune rurale, en disent long sur la fracture qui existe dans la Nation et que la République n'a pas réussi à réduire.
 
Il est vrai que le vote cellettois a été d'une grande cruauté pour les conservateurs. Ils n'ont aucun élu au premier tour et un seul, Léon Doublier, au second, et encore, grâce au système du panachage, avec une simple majorité relative de 48,8 % des suffrages exprimés. Battus, Aralde de Bellaing et Jacques d'Assy, au premier et au second tour, tandis que leurs co-listiers ne recueillent qu'entre 24 et 32 % des voix. Triomphe pour la liste du Maire : 8 élus au premier tour, les 4 en tête avec plus de 60 % des voix, et 3 élus au ballottage ! En tant que telle, l'opposition conservatrice est éliminée de la représentation municipale.
 
Le mandat de ce Conseil est marqué par la démission du Maire, un an après avoir été désigné. A 60 ans, Louis Tillier quitte la commune, sans toutefois abandonner son poste de Conseiller municipal, ce qui évite une élection partielle. Un événement peu commun se produit alors. Elu Maire à la quasi-unanimité (10 voix sur 12), Edmond Poirier refuse la fonction ! Qu'est-ce qui l'a dissuadé ? La modestie ? Mais il était adjoint depuis 10 ans. Ou la crainte d'être absorbé puis dépassé par la tâche ? Toujours est-il qu'il préfère garder la fonction moins exposée d'adjoint et laisser la place de Maire à un nouvel élu, Edouard Barbier, instituteur retraité.
 
 
1929
 
 
Aucune trace -affiches, circulaires, listes- pour l'élection de 1929. Seul, le procès-verbal de dépouillement nous confirme que la compétition a dû être modérée.
 
La majorité radicale et radical-socialiste du Conseil aurait pourtant pu redouter l'échéance, tant l'élection législative de l'année précédente avait été serrée, à Cellettes comme dans le reste de la Circonscription. On était revenu au scrutin uni-nominal et le radical-socialiste Amiot l'avait emporté d'extrême justesse sur son adversaire de droite avec une différence de 60 voix pour presque 18 000 suffrages exprimés !
 
A Cellettes même, le représentant de la droite, modérée il est vrai, n'avait que 5 voix de retard ! On notait aussi l'apparition d'un électorat spécifiquement socialiste (SFIO) à hauteur de 9 %. Tout cela aurait pu relancer la machine conservatrice. Il n'en fut rien : si Léon Doublier et Léon Liger furent élus au premier tour avec des scores confortables (respectivement 72 et 58 % des suffrages exprimés), et Alain de Tonquédec , châtelain du Boisselas, moins aisément (48 % au second tour), il ne semble pas que ce fût à l'issue d'un combat difficile. Les deux premiers bénéficièrent probablement de leur place sur la liste du Maire, d'un positionnement politique républicain crédible et, comme paysans "du pays", d'une image sensiblement moins dégradée que les "châtelains".
 
Quant aux autres conservateurs, groupés ou non sur telle ou telle liste, ils ne recueillirent que des miettes (de 15 à 30 %) à l'exception de Jacques d'Assy, encore présent, encore battu avec 42,8 % des suffrages exprimés. Le Maire et les Conseillers proches de lui étaient réélus sans difficultés : 7 obtenaient plus de 60 % des voix, avec un vrai plébiscite pour Edouard Barbier, plus de 74 % !
 
 
1935
 
Les archives ne conservent pas, pour la dernière élection municipale de la IIIème République, les traces d'une passion excessive. Des affiches apaisées mais pas de circulaires anonymes - ce qui ne signifie pas qu'il n'y en eut pas ! L'élection au premier tour de la quasi-totalité des sortants fut moins triomphale qu'en 1929 : aucun élu n'atteint 60 % des suffrages exprimés. Les trois conservateurs sortants (Léon Doublier, Alain de Tonquédec et Léon Liger ) figuraient sur l'affiche de candidature commune avec leurs huit collègues (le neuvième, Gustave Bourbon, s'était retiré pour raisons familiales). Ils ne se joignirent pourtant pas à eux pour le scrutin de ballottage, refusant peut-être ainsi de soutenir au moins un radical avéré : Chantal Blanchet. Mais ils signèrent avec tous les élus une affiche de remerciement aux électeurs. Ce jeu subtil n'abusait bien sûr personne: on savait que ces trois-là étaient des opposants politiques mais la petite part de la gestion communale que l'Etat concédait aux élus municipaux échappait aux clivages. En somme, les mêmes accommodements qui avaient profité aux conservateurs dans les débuts de la IIIème République se révélaient désormais favorables aux radicaux...
 
Il semble bien tout de même qu'une double opposition se soit manifestée : celle, traditionnelle, de conservateurs ou de républicains de droite, décidément rétifs à toute alliance avec des radicaux même très modérés, et celle, plus nouvelle à Cellettes, d'une gauche socialiste, ou socialisante. Le système du panachage rend difficile l'appréciation de chaque courant, puisque sur une même liste, l'électeur peut faire figurer des candidats de bords différents. On peut seulement estimer le pourcentage obtenu par les candidats aux opinions connues car affichées ultérieurement, lors des premières élections municipales de l'après-libération.
 
Ainsi les "libéraux" ou "modérés" Edouard Issy, futur adjoint étiqueté "Union Républicaine Démocratique", et Emile Lelièvre, recueillent entre et 37 et 38 % des voix, tandis que Marcel Contour, qui sera Maire après la Libération, marqué radical-socialiste mais sans doute socialisant, est à 43 %. Il faut lire dans ces scores autant leur part politique que leur part personnelle, mais on peut considérer qu'ils représentent une mesure correcte du rapport de forces en train de s'établir. 
 
Avec 11 réélus (et le douzième remplaçant le sortant non-candidat), la continuité est presque parfaite, et ce depuis 1919, pour 6 des élus, et même depuis 1912 pour 4 d'entre eux (Philippe Merveille, Maurice Boucher, Auguste Gasselin et Edmond Poirier). La conséquence en est un fort vieillissement du Conseil, dont la moyenne d'âge est supérieure à 60 ans, avec cinq élus qui atteignent ou dépassent 70 ans, en particulier, le Maire et son Adjoint.
 
Ce Conseil âgé devra aux circonstances d'avoir le plus long mandat de la IIIème République. Quand il cède la place, au printemps 1945, au premier Conseil de l'Histoire jamais élu au "vrai" suffrage universel, il ne compte plus que huit membres, tous confirmés à l'automne 44 par le Préfet, après avis du Comité Départemental de Libération, et la moyenne d'âge de ces valeureux survivants dépasse 70 ans. Il était vraiment temps de changer de République !

Mais ce n'est plus notre affaire.